L’agenda ironique d’avril, c’est chez les carnetsparesseux que le poisson songe à écrire, alors le premier épisode de ma participation ne fait pas de friture sur la ligne que voici.
Vous trouverez l’inaltérable formulation de départ à l’écriture en suivant ce lien :
https://carnetsparesseux.wordpress.com/2024/04/03/un-poisson-pas-que-poisson-agenda-ironique-davril/
Pas de friture sur la ligne
La scène
Dans un salon, un mur entier est constitué d’un aquarium à l’intérieur duquel trois petits poissons évoluent avec grâce.
Un quatrième, minuscule et difficile à repérer tant il se fond dans le paysage, se tient devant une sorte d’autel en pierre.
Peut-être dort-il ?
Aucun mouvement ne semble l’animer.
Il est comme suspendu.
En attente, qui sait ?
Oui, mais en attente de quoi ?
Sur l’autel, un livre.
Un livre qui tourne mécaniquement une page en cadence mesurée.
Tiens ! On dirait que le poisson N°4 ouvre un œil.
Ou peut-être les deux ?
Là où se tiendrait l’observateur le plus attentionné, ne lui serait donnée aucune certitude. N°4 se tient parallèle à la vitre.
Pourtant, une intuition viendrait lui indiquer si le poisson cligne ou pas des yeux.
Un pli sous l’arcade sourcilière de l’animal ?
Une légère dysharmonie de l’ouïe ?
Un mince froncement de la bouche ?
C’est à ce moment là qu’une autre réalité se dessine.
Les lèvres de N°4 commencent à bouger.
– C’est toi ? chuchote le nageur N°4 qui fait du surplace, immobile.
– Blblblblblbl… (Bruit de la pompe à eau)
– Dis, carnet…
– Ffffrouttt… (Bruit de la page qui tourne)
– C’est quoi la paresse ?
– Bling bling bling bling bling… (Bruit de l’écran qui pixelise, les petites briques de l’image dégringolent du mur pour aller reformer une nouvelle image).
Une nouvelle image se reforme
Dans un jardin, un banc avec un chapeau de paille posé sur le banc.
Un peu plus loin, une silhouette penchée sur un sillon.
Il tient une binette dans la main droite.
La rhubarbe, s’adressant à sa voisine, la marguerite.
– Dis-moi, Marg…
– Moi, Rhub !
Rires idiots.
– Elle est usée.
– Oui, mais moi, j’l’aime bien !
– Bon, ok, c’est quoi ta question ?
– Tu crois qu’il va réussir à nous éviter, cette fois ?
– Je ne sais pas, Rhub ! Tiens toi prête à agir !
Le jardinier s’approche.
– Vas-y, Rhub !
La rhubarbe se gonfle des feuilles, puis souffle, puis recommence.
L’air remue, flue, reflue, la marguerite est décoiffée.
Le jardinier se penche, observe le jeu du vent.
Il se redresse, se gratte l’oreille gauche.
– Tiens ? Qu’ont-ils à me dire, ces deux là ?
Marg, tout sourire, s’adressant à Rhub :
– On dirait bien qu’il a compris. Il s’est arrêté.
Le jardinier essuie son front du revers de la main.
Reprend sa binette et continue à désherber son sillon avec un régularité presque métronomique.
Rhub s’adressant à un public hypothétique :
– Mais quand vont-ils donc comprendre qu’il n’est nul besoin de déraciner qui que ce soit pour que la terre reste saine, belle, et surtout habitée du vivant ?
– Ffffffeeeeeh… (Bruit du vent)
L’image semble se décomposer, comme des feuillets minuscules qui s’envoleraient sous le souffle doux d’un rêveur endormi.
L’écran
d’une nuit blanche s’éclaire
Une
ville se dessine. Reconnaissable à son mémorial de
paix.
Vierzon !
Haut-lieu
de vigilance, d’espérance, haut-lieu de vie.
Ville d’eau à
la croisée des cinq rivières que sont l’Yèvre, le Cher, le
Barangeon, l’Arnon, le Verdin.
Et puis le canal de Berry qui
vient les souligner.
– Bing !
Le trait du canal vient
d’atteindre le bouton off.
L’écran s’éteint.
–
Dring, dring… (un téléphone sonne quelque part)
L’écran se rallume.
Un taxiphone, fixé à l’intérieur d’une cabine rouge, dont le bandeau affichant « téléphone » ne laisse aucun doute sur son utilisation.
Un homme arrive, il est en pyjama, sort de la chambre, entre dans le salon, puis dans la cabine. Il décroche le combiné.
– Allo ?
Une voix chantante au bout de la ligne.
– Bonjour, je suis le poisson d’Avril automatique, il est l’heure, l’heure de se lever, Biiiiip, Biiiip, Biiiip…
L’homme raccroche le combiné sur le socle.
Il sort de la cabine téléphonique, referme la porte, se tourne vers l’aquarium, sourit.
– Tu vois, N°4, dit-il en s’adressant au tout petit poisson qui se tient toujours devant l’autel de pierre.
– La paresse, c’est ça !
Et il retourne dans la chambre, se rallonge, s’étire un peu, puis se rendort.
Au fond de l’aquarium, une nouvelle page se tourne.
Poisson N°4 entrouvre l’œil côté salon.
Une bulle sort de sa cavité buccale.
Puis un son.
– Tu vois, carnet, Xénophon rapporte qu’Alexandre pleura quand il eut achevé la conquête du monde. Tamerlan et Attila, eux, pas une larme.
– Mais toi, carnet, versera-tu une larmes ?