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Archive for the ‘citations, pensées, maximes.’ Category

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Suite de « Dans les pousses du silence ».
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« De la fleur vous êtes la quintessence ».
Sophie Rostopchine « Les mémoires d’un âne ».
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L’âne des mémoires


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Dans la torpeur du soir qui s’annonçait caniculaire, les fleurs du jardin d’Alexandrie exhalaient leurs derniers arômes avant la nuit. Ce soir, aucune d’entre elles n’irait refermer ses pétales. Canis Alpha, la reine Siriusienne, avait prédit une nuit d’étoiles filantes.
La brouette remua faiblement ses poignées. Toute la journée, serrées par les mains caleuses des ouvriers, elles avaient été mises à contribution. Et puis, abandonnée au fond du jardin, enfin, elle pouvait détendre ses muscles endoloris par le dur labeur des transports de charges nécessaires à la construction.
La charrette était repartie, on ne sait où, ou bien était-elle rangée si précautionneusement qu’elle en était invisible.
Des milliers de sons ténus, frémissements, frissonnements d’ailes de grillons, craquements de brindilles sèches, frottements du feuillage dans la brise à peine perceptible, des milliers de sons ténus habitaient le silence. Quelques fleurs tournaient leur tête pour suivre le glissement d’un orvet ou le dépliement discret du crapaud assoupi. Toute la nature se prêtait à l’instant. La traversée des perséides s’annonçait turbulente.
Mortificat l’avait vu. En lisant dans les écorces d’arbres et en rapportant l’angle des branches sur la pierre du tombeau d’albâtre d’Alexandre le Grand, elle s’était rendue compte de la dysfonction. Plus rien ne correspondait à la règle de Rhodes. Alors elle avait su. La morsure du grand chien était inacceptable.
Mortificat levait les yeux lorsqu’un trait de lumière traversa le ciel.
Ni la brouette ni elle ne firent de vœu. Il était trop tard pour ça.
Les brancards de la brouette en fer blanc, Mortificat les avait mesurés suffisamment pour comprendre que l’usure des poignées ne se réparerait plus. D’ailleurs, la brouette avait su en faire si bon usage que c’était à se demander si telle n’était pas la vocation de cette dernière. Sous sa voûte crânienne se dessina alors une phrase en lettres de feu. « Il faut s’en servir… ». Ça remontait à tellement loin cette histoire.
Elle cessa donc de chercher à alléger le poids de l’hôte aux charges de pierre et se tourna résolument vers la splendeur du jardin. Près du tronc, une touffe bougeait. Un lièvre de l’été sans doute.
– Groin groin !
– Tu parles cochon maintenant ?
– Non, sanglier.
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Le parlé sanglier


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Mortificat, qui parlait le sanglier couramment comprit qu’il se passait quelque chose de délicat à entendre dans ce monde là. Elle aurait besoin de la charrette pour capter les tonalités les plus fines.
– Sais-tu où se trouve la charrette, je ne la vois plus ?
– Elle a du se planquer dans un coin, pour ronquer tout ce qu’elle sait.
– C’est quoi comme langage ce ronquer ?
– Elle n’en sait rien !
– Si tout ce qu’elle sait n’en sait rien, comment veux-tu qu’elle se rende compte qu’elle le sait ?
– Sait une bonne question !
– Laquelle ?
– C’est elle qui saura.
– Ou qui a su.
– Ou qui sait encore.
– Il manque quoi comme temps ?
– L’imparfait du subjonctif.
– C’est pas un peu passé ?
– Au niveau des couleurs ?
– Pffff ! Les fleurs dodelinèrent la tête d’un air compassé. Jamais elles ne comprendraient ces dialogues sans l’aide d’une encyclopédie vivante.
– Allons chercher Cyclopédie pour ce faire ! S’écria alors la brouette en s’ébrouant les deux brancards d’une oreille distraite.
– Arrêêêêêêête ! Elle va me prendre pour un lièvre !!!
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Le lièvre


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Un bref éloge du temps
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Madame Bégonia descendait l’avenue de la Pinède lorsqu’elle aperçu monsieur Popples, dont le visage jovial affichait un large sourire.
Ils s’étaient connus sur les bancs de l’université, alors que retraités tous les deux, ils avaient suivi des cours de philosophie bergsonnienne.

Le temps ne s’arrange pas monsieur Popples !
– Comment voulez-vous qu’il s’arrange, madame Bégonia ? Sa tenue ne vous convient pas ?
– C’est que, voyez-vous, il n’est jamais là où l’on croit qu’il est. Regardez par exemple, l’autre jour, je le prends gentiment par la minute de vérité, et voilà qu’il me file entre les doigts comme une heure creuse, c’est assez déconcertant non ?
– Essayez plutôt de l’attraper par la dernière seconde. Peut-être déviderez-vous une journée entière.
– Oh ! Monsieur Popples ! Mais la dernière seconde, vous n’y pensez-pas !
– Vous avez raison, madame Bégonia, je n’y pense pas. Je pense à la première, celle qui précède la seconde.
– Vous êtes du côté du temps alors ?
– Pourquoi vous me dites cela, très chère ? Qu’est-ce qu’il y a de l’autre côté ?
– Vous voyez bien que vous n’êtes jamais là où je vous cherche, vous non plus !
– Madame Bégonia, je vais creuser l’heure pour l’agrandir un peu, combien voulez-vous que je mette de bonne heure dedans ?
– Je refuse de compter les heures, monsieur Popples !
– C’était pour vous aider à l’attraper.
– Qui ?
– Mais le temps, enfin !
– Mais enfin, monsieur, je ne veux pas l’attraper.
– Je ne vous comprends pas !
– Juste le trouver.
– Si vous passez d’une minute à l’autre, je peine à croire que vous trouviez le temps. Pas étonnant qu’il file en temps ordinaire. Par les temps qui courent, il s’agit de ralentir, sans perdre de temps. Il est urgent de prendre son temps.
– Bon ! Quand même, vous n’allez pas passer tout votre temps à creuser l’air du temps, j’ai un truc à faire, moi, monsieur !
– Creuser l’air, je n’y avais pas pensé. Avec une pelle à vent, un vide-ozone, une bêche à hydrogène ?
Et c’est quoi ce truc que vous allez faire, madame bégonia ?
– J’ai l’aïe qui me demande du temps.
– Mais vous êtes folle !?
– Oui, et alors ?
En même temps, monsieur Popples, je ne reculerai devant aucun défi, ne vous déplaise. Après tout, l’aïe n’est pas si douloureux, vous savez.
– Ce même temps concomite avec lequel, madame Bégonia ?
– En temps utile ou en temps don ?
– Vous en donnez beaucoup ?
– Monsieur Popples, si vous répondez à mes questions par une autre question, en un rien de temps, l’heure vient de se creuser d’un nouveau temps qui va me mettre en retard, je file.
– Vous dites que le temps file, et maintenant, c’est vous ?
– J’ajuste, monsieur.
– Madame Bégonia ?
– Oui monsieur Popples ?
– Si je vous dis que monsieur Popples a des yeux de framboises et se demande connaissance et contoise, vous en pensez quoi ?
– Vous parlez de vous comme d’un autre ?
– Je parle de moi comme de mois.
– Vous êtes combien d’années Popples ?
– Voyons… L’année lumière dernière étant la cadette…
Disons l’année en cours. Je suis inscrit sur celui du temps présent.
– Et cette année, vous suivez des cours de quoi, avec ce temps présent ?
– Pas des cours d’absence, nous sommes présents, c’est toujours un temps de gagné.
– Cette fois, il est temps, je dois y aller. Je vous souhaite une bien belle connaissance, monsieur Popples. Je dois rejoindre une femme que vous reconnaîtrez sans doute pour remonter le dossier de sa fin de temps jusqu’à son génie.
– Je suis curieux, madame Bégonia, de voir le temps à travers les yeux d’un génie féminin, car pour comprendre dans quels étranges chemins le temps dirige les êtres désignés comme tels par leurs contemporains, il s’agit d’attraper la petite racine de folie qui fait la différence. Belle connaissance aussi, madame Bégonia.
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Une ironie du sort
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(parmi tant d’autres passées inaperçues)
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« Vous qui entrez, laissez toute espérance ».
Dante

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Impossible d’écrire quoique ce soit. Il est là, penché sur mon épaule. Il ? Qui est-ce ? Ou plutôt qu’est-ce ?
Je n’en sais rien, mais je sais qu’il est là.
Cette présence accompagne chaque instant de ma vie depuis… Depuis… Depuis toujours peut-être. Mais depuis quand se manifeste-t-elle ?
Je la sens rôder, proche, dans les meubles qui craquent, dans les objets déplacés, égarés… Oh, si peu…
Je suis sûre que c’est lui.
Il avait cette force des surhommes, cette intraitabilité implacable que seuls les esprits de l’au-delà savent posséder.
D’ailleurs, oh combien je regrette de l’avoir aidé à faire cette porte.
Il m’a tout pris ! Et cette folle de mère qui, à travers moi, n’a rien su voir que sa propre folie, qu’elle me fait encore porter !
Les humains sont ainsi faits, ils ne veulent pas voir.
Pourquoi donc certains et pas d’autres ?
Lui, il savait. Moi, je voulais savoir.
A la naissance, sans doute, tout est déjà distribué.
Moi, il me disait que j’avais de l’or dans les mains. A cette époque, je ne l’avais pas encore mesuré. J’ai compris trop tard. L’amour ? Il ne servait qu’à ça. Sur le fil tendu au dessus de l’abysse, j’ai dansé. Jusqu’à la porte des enfers, jusqu’à lui. Le penseur, il est là, il la garde, sa porte, bien close. Ce que je ne savais pas, c’est qu’en la sculptant, j’y étais entrée, avec lui, mon maître.
Lui, il avait Rose pour le guider et l’en faire sortir.
Moi, j’ai eu ma mère pour m’y garder emprisonnée.
Je vais mourir bientôt.
C’est la guerre. Dans l’asile, la nourriture manque cruellement.
J’ai tellement maigri depuis que l’état nous a rationnés. Mes forces diminuent.
Les autres, je les vois errer, affamés, hagards, certains s’agitent parfois.
Alors ils arrivent, avec leurs blouses blanches, bien propres.
Eux, dehors, ils trouvent au marché noir ou dans la solidarité de quoi subvenir à leurs besoins.
Nous, les fous, enfermés entre les murs de l’asile, nous agonisons lentement de faim, sans bruit, nous mourrons d’extermination douce.
Personne ne s’intéresse à nous. Enfin, pas grand monde.
Les blouses blanches ?
Je le lis dans leurs yeux, ils ont honte, ils ont peur, ils ne veulent pas voir, ils ne savent pas quoi faire, alors ils ont mis un voile. C’est trop difficile sinon.
Et nous, on en crève.
Je vous fais mes adieux, Auguste, au bout de toutes ces années d’enfermement, alors que la vie me quitte.
Je vous ai aimé, mal, trop, mais il est tard. Et puis vous êtes déjà là-haut, avec elle, votre Rose, votre inconditionnelle compagne.
Adieu à tous sur cette terre de silence.
Ils disent que j’ai du génie.
Il disait que j’avais de l’or dans les mains.
Pourtant, même ma dépouille sera oubliée, mon corps finira dans la fosse commune de l’anonymat. Poussière d’étoile qui retourne à la terre.
Seules, mes créations me survivront.
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Camille Claudel
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la-porte-de-l-enfer Auguste Rodin 1880

la-porte-de-l-enfer – Auguste Rodin – 1880


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Edité le 8 Mars 2020, pour la journée de la femme, ainsi que pour l’agenda ironique qui va passer tout le mois ici même. Lien ci-dessous :
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L’Agenda Ïronique Etrange, L’AÏE de Mars, le mois des fous

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« Quand un fou paraît tout à fait raisonnable, il est grandement temps, croyez-moi, de lui mettre la camisole »
Edgar Allan Poe
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Lorsqu’ils sont ciselés par l’amour
Les mots nous ouvrent sur le jour
D’un éclairage chaleureux
Qui nous rend tellement plus heureux
Qu’une fois la direction donnée
Le cœur l’emprunte enthousiasmé.
Ceux qui nous ouvrent le chemin
Sont des étoiles et des gardiens
Pour les feux sacrés de la joie
Et les vents d’ange des esprits droits.

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Allégorie de la Spiritualité

Allégorie de la spiritualité

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Il y eut un silence d’amour et la porte s’est ouverte sur le ventre des mots. Ils étaient doux comme de la soie, certains plus ronds que d’autres retenaient mon attention. Celui de la tendresse semblait parcouru de vagues lentes et quelque chose par endroit pointait du doigt l’élasticité de sa paroi. J’ai cru discerner une ligne évanescente évaporer son message à travers la peau tendue, une ligne qui écrivait viens, viens dans le ventre de mon mot, entre dans la joie de ma délicatesse, de mes rêves, de mes rires, de mes jeux d’enfants prêts à inventer ce nouveau monde qui n’appartient qu’à nous et où se déploient d’autres notions chatoyantes comme l’irisé de nos deux âmes unies vers le bonheur.
Je suis entrée, et le moelleux délice du mot amour caché à l’intérieur m’a accueillie dans sa chaleur, et bien que la porte d’entrée soit restée grande ouverte sur le reste des éclatants rires de bonheur des mots soyeux ou mordorés, je suis restée, et j’ai compris à la croissance de l’aube que le mot ne ferait que grandir.

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Une histoire de fil qui se déroule, associé à une machine à en découdre, voilà de quoi alimenter les réflexions studieuses de nos étudiants en herbe d’âme. A chercher à comprendre à la fin tout est tellement bien rangé que la vie elle même s’en trouve anesthésiée. Une étiquette sur les pots de malchance, une autre sur les pas de pots qui marchent sur le fil, ou encore comment faire rentrer les âmes dans des cases. C’est tellement plus simple ainsi.
Donc la méthode, c’est d’avoir un mode d’emploi, une procédure, et de la suivre à la lettre. C’est ainsi que je devins une femme de lettres en allant aux toilettes. Imaginons un segment W-C dans le graphique où l’ordonnée est le champ du connu, et l’abscisse le champ de l’inconnu. Soit un angle O-Q-P, situé sur ces points précis. Je vais donc devoir réfléchir à comment ouvrir le triangle WO-Q-PC ainsi constitué afin de pouvoir π c. Partant du point commun C, il m’apparaît nécessaire de voir si la bobine est ou n’est pas. De plus, une vérification s’avère nécessaire, le rouleau peut-il s’assimiler à une bobine ?
Ainsi, de fil en aiguille, le C serait le semblant d’une clef, à trois quarts de lettres prêt.
Pendant ce temps, j’aurais largement eu le temps d’aller sonner chez la voisine, ou encore d’aller soulager ma vessie derrière un arbre.
Bref, il est des raccourcis qui font chemins de traverse, ou pas.
La méthode du bout de la bobine serait à ce titre une étiquette de plus.
Mais au fond, si je retire tout, que reste-t-il ?
Rien.

Chez carnetsparesseux, une histoire d’agenda ironique suspendu au fil d’avril, voilà de quoi gazouiller sur le fil des mathématiques littéraires.

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J’étais fière, j’écrivais. Mais au fil du temps, les écrits ont tissé un grillage, et moi, j’étais dedans.
Quand j’ai compris que le tissage de pensées se resserrait, j’ai cessé d’écrire.
Les fils se sont relâchés, ils ont laissé une ouverture pour que je passe la tête, puis le corps tout entier, et je suis sortie.
Dehors, les mots volaient comme des papillons, et moi, je les admirais. J’ai eu envie de voler, moi aussi. Alors je l’ai fait, et depuis, je ne peux plus m’arrêter.
C’est tellement amusant, toute cette légèreté. En dessous, il y a des paysages merveilleux, des amis qui viennent et qui discutent, d’autres papillons qui volètent à mes côtés.
Alors les cahiers se sont tus, abandonnés.
Lorsque je les ai survolés, l’autre jour, l’un d’eux m’a chuchoté.
– Tu peux voler, tes mots seront toujours là. Ils ne seront plus une prison maintenant, mais une porte vers ton intérieur.
Alors j’ai compris. J’ai compris que le tissage, c’était l’enveloppe du monde qui m’adoptait.
Et que je pouvais changer de monde librement.
Celui qui me donne ma légèreté, je lui reviens toujours.
C’est mon repère, mon laisser passez pour l’existence, alors comprenez- moi, si je ne tisse plus les mots, si je préfère les vivre maintenant…

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Extrait de « Propos sur le bonheur » d’Alain (Emile Chartier / 1868-1951)
P 77 Folio essais éditions Gallimard

« Ne pas désespérer »

Cette méthode de police qui consiste à guérir un ivrogne par le serment, porte la marque de l’action ; un théoricien ne s’y serait point fié ; car, à ses yeux, les habitudes et les vices sont solidement définis et établis. Raisonnant d’après les sciences des choses, il veut que tout homme porte en lui ses manières d’agir, comme des propriétés, à la façon du fer ou du soufre. Mais je crois plutôt que les vertus et les vices, fort souvent, ne tiennent pas plus à notre nature qu’il ne tient à la nature du fer d’être martelé ou laminé, ou à la nature du soufre d’être en poudre ou en canons.
Dans le cas de l’ivrogne j’en vois bien la raison ; c’est l’usage ici qui fait le besoin ; car boire ce qu’il boit donne soif et enlève la raison. Mais la première cause de boire est bien faible ; un serment peut l’annuler ; et à partir de ce petit effort de pensée, voilà notre homme aussi sobre que s’il n’avait bu que de l’eau depuis vingt ans. Le contraire se voit aussi ; je suis sobre ; mais je deviendrais aussitôt ivrogne et sans effort. J’ai aimé le jeu ; les circonstances ayant changé, je n’y ai plus pensé ; si je m’y mettais, je l’aimerais encore. Il y a de l’entêtement dans les passions et peut-être surtout une erreur démesurée ; nous nous croyons pris. Ceux qui n’aiment pas le fromage n’en veulent point goûter, parce qu’ils croient qu’ils ne l’aimeront point. Souvent un célibataire croit que le mariage lui serait insupportable. Un désespoir porte malheureusement avec lui une certitude, disons une forte affirmation, qui fait que l’on repousse l’adoucissement. Cette illusion, car je crois que c’en est une, est bien naturelle ; on juge mal de ce qu’on n’a point. Tant que je bois, je ne puis concevoir la sobriété ; je la repousse par mes actes. Dès que je ne bois plus, je repousse par cela seul l’ivrognerie. Il en est de même pour la tristesse, pour le jeu, pour tout.
Aux approches d’un déménagement vous dites adieu à ces murs que vous allez quitter ; votre mobilier n’est pas dans la rue que vous aimez déjà l’autre logement ; le vieux logement est oublié. Tout est bientôt oublié ; le présent a sa force et sa jeunesse, toujours ; et l’on s’y accommode d’un mouvement sûr. Chacun a éprouvé cela et personne ne le croit. L’habitude est une sorte d’idole, qui a le pouvoir par notre obéissance ; et c’est la pensée ici qui nous trompe ; car ce qui nous est impossible à penser nous semble aussi impossible à faire. L’imagination mène le monde des hommes, par ceci qu’elle ne peut s’affranchir de coutume ; et il faudrait dire que l’imagination ne sait pas inventer ; mais c’est l’action qui invente.
Mon grand-père, vers ses soixante-dix ans, prit le dégoût des aliments solides, et vécut de lait pendant cinq ans au moins. On disait que c’était une manie ; on disait bien. Je le vis un jour à un déjeuner de famille attaquer soudainement une cuisse de poulet ; et il vécut encore six ou sept ans, mangeant comme vous et moi. Acte de courage certes ; mais que bravait-il ? L’opinion, ou plutôt l’opinion qu’il avait de l’opinion, et aussi l’opinion qu’il avait de soi. Heureuse nature dira-t-on. Non pas. Tous sont ainsi, mais ils ne le savent pas ; et chacun suit son personnage.

24 août 1912

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Le Loup des steppes (Der Steppenwolf) est un roman écrit par Hermann Hesse et publié pour la première fois en 1927. Chef d’œuvre de la littérature du xxe siècle, interdit sous le régime nazi, ce roman a marqué son époque et reste aujourd’hui une œuvre essentielle.
Il raconte l’histoire de Harry Haller, un homme désabusé, tiraillé entre un besoin d’isolement, presque de sauvagerie, un aspect de lui-même qu’il nomme « le loup des steppes », et l’intégration dans la société, qu’il recherche malgré tout encore et toujours. La découverte d’un fascicule décrivant sa propre histoire, ainsi que sa rencontre avec Hermine, qui le prend sous son aile, vont l’obliger à sortir de son existence recluse et à se confronter aux multiples aspects de sa personnalité. Il entame ainsi un parcours initiatique (thème cher à Hermann Hesse) qui le fera passer par toutes les facettes possibles de son existence. Il apprendra à jouir de la vie et à utiliser l’humour pour se distancier de l’absurdité du monde et progresser.

Invité par Hermine à une petite représentation dans un théâtre où seuls les fous sont admis, et où l’entrée coûte la raison, Harry se retrouve dans un couloir en demi-cercle où s’ouvrent d’innombrables portes, chacune recouverte d’une enseigne.

Page 167

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La liste des enseignes était interminable. L’une d’elle portait :
« Guide pour la reconstruction de la personnalité. Succès garanti. »
Cela me parut digne d’attention et j’entrai.
Je fus accueilli par une pièce silencieuse et crépusculaire. Sur le sol, accroupi à l’orientale, se tenait un homme, devant lequel était posé un grand échiquier. D’abord je le pris pour l’ami Pablo, car il portait comme lui un veston de soie bariolé et il avait les mêmes yeux noirs rayonnants.
« Etes-vous Pablo ? demandais-je.
– Je ne suis personne, expliqua-t-il cordialement. Ici, nous ne portons pas de nom, nous ne sommes pas des personnages. Je suis un joueur d’échecs. Désirez-vous suivre le cours sur la reconstruction de la personnalité ?
– Oui, s’il vous plaît.
– Dans ce cas, veuillez mettre à ma disposition quelques douzaines de vos figurines.
– De mes… ?
– Des figurines dont se composait votre soi-disant personnalité. Elle s’est morcelée, vous l’avez vu, en fragments. Sans figurines, je ne puis. »
Il me tendit un miroir, j’y revis l’unité de ma personne morcelée en innombrables moi ; leur quantité semblait encore accrue. Mais les figurines, maintenant, étaient toutes petites, aussi petites que des échecs ordinaires : le joueur, d’un geste sûr et silencieux, en prit quelques douzaines et les plaça sur le sol à côté de l’échiquier. En même temps, d’une voix monotone, comme quelqu’un qui récite une leçon ou un discours appris par cœur et souvent répété :
« Vous connaissez la conception erronée et susceptible d’engendrer bien des malheurs, qui veut que l’homme soit une unité durable. Vous savez également que l’homme consiste en une multitude d’âmes, de moi nombreux. On considère comme fou celui qui divise en morceaux l’unité apparente de la personne, et la science appelle cela du nom de schizophrénie. La science a raison en ce sens qu’une multitude sans organisation, sans ordre et sans groupement est impossible à dominer. Par contre, elle a tort de croire que les nombreux sous-moi ne peuvent être organisés qu’une fois pour toute, pour la vie entière. Cette erreur de la science a des conséquences très désagréables ; sa valeur se réduit notamment à simplifier la tâche des professeurs et des maîtres d’école subventionnés par l’état et de leur épargner la peine de penser et d’expérimenter. Par suite de cette erreur, on considère comme « normaux » et même comme très estimables au point de vue social bien des hommes irrémédiablement fous et, inversement, bien des génies sont considérés comme fous. Par conséquent, nous remplissons les lacunes de la science psychologique au moyen de la notion que nous appelons art de la reconstruction. Nous montrons à celui qui a passé par le morcellement de son moi qu’il est libre de réorganiser les figurines à n’importe quel moment dans n’importe quel ordre et qu’il peut ainsi atteindre à une variété infinie du jeu de la vie. De même que le poète crée un drame avec une poignée de figures, nous créons des groupes, des jeux, des intrigues, des situations nouvelles, avec les figures de notre moi morcelé. Voyez ! »
De ses doigts habiles et silencieux il ramassa une poignée de mes figurines, vieillards, femmes, enfants, adolescents, joyeux, tristes, délicats, forts, maladroits, agiles, et les rangea rapidement sur l’échiquier ; au cours de la partie d’échecs, ils s’associèrent en familles, en groupes, formèrent des amitiés et des rivalités, entrèrent en lutte et en jeux, formant à eux tous un petit univers. Sous mes yeux ravis, il les fit vivre pendant quelques minutes ce petit monde mouvementé et bien organisé, où l’on jouait, luttait, guerroyait, se mariait, s’accroissait ; c’était en effet un drame animé et passionnant à mille personnages.
Puis, d’un mouvement joyeux, il passa la main sur l’échiquier, renversa doucement toutes les pièces, les mis en tas ; avec des gestes réfléchis, en artiste chercheur, il reconstruisit, au moyen des mêmes figurines, un jeu tout nouveau, avec des relations, des groupements et des liaisons différentes. Le deuxième jeu s’apparentait au premier : c’était le même monde, construit avec les mêmes matériaux, mais l’atmosphère était différente, le rythme modifié, les motifs autrement disposés, les situations changées d’angles.
Ainsi, le constructeur adroit, avec les figurines dont chacune était une parcelle de mon moi, fabriquait un jeu, puis un autre, qui possédaient entre eux une ressemblance lointaine, appartenaient manifestement au même monde, avaient la même origine, tout en étant chacun entièrement nouveau.
« Ceci est l’art de la vie, enseignait-il d’un ton doctrinaire. Désormais, vous pouvez vous-même former et ranimer à votre aise le jeu de votre vie, l’enrichir et le compliquer ; les données sont entre vos mains. De même que la folie, dans un sens élevé, est le commencement de toute sagesse, la schizophrénie est, elle, le commencement de tout art, de toute imagination. Les savants même l’ont déjà presque admis, comme vous pouvez vous en rendre compte en lisant « La corne d’abondance du Prince », ce livre enchanteur où la besogne pénible d’un savant est ennoblie par la collaboration géniale d’un certain nombre d’artistes déments, enfermés dans des asiles d’aliénés. Tenez, reprenez vos figurines, ce jeu-là vous amusera souvent. La figurine qui a grandi aujourd’hui jusqu’à devenir un personnage insupportable qui vous gâche le jeu, vous en ferez demain un rôle secondaire et inoffensif. La pauvre petite figurine qui semblait condamnée à une malchance et à une déveine sans fin vous en ferez demain une princesse. Je vous souhaite bien du plaisir, monsieur. »
Je m’inclinai profondément, plein de reconnaissance. Mis mes figurines dans ma poche et me retirai par la porte étroite.
Au fond, j’avais cru qu’en sortant je m’assoirais sur le sol, dans le corridor, pour jouer des heures, des éternités, avec mes figurines, mais à peine me retrouvai-je dans le couloir illuminé du théâtre que des courants plus puissants m’entraînèrent. Une affiche flamboya soudain sous mes yeux :
« Le miracle du loup des steppes apprivoisé ».

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Pour tracer ton sillon droit, accroche ta charrue à une étoile.

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Silence de ce matin pluvieux
Dans la solitude des Dieux
Avec pour accompagnement
La musique des plus grands
Ceux qui rêvaient tout en créant
Les messages qui auraient en temps
Des adeptes si convaincus
De leurs choix sans aucuns vaincus
Juste à dénoncer les horreurs
Qui font frissonner de terreur
Au regard de ceux qui perdus
Ont oubliés d’être un peu généreux
Tout en abusant des gentils
Mais la roue était dentue
Comme un paquet de brin foireux
La roue faisait son petit pli
Tranquille comme un bateau en paix
Jusqu’à disparaître de leurs quais
Car accoster en terre d’asile
Quand celui-ci vise et défile
La relation douce amicale
Je vous assure, moi je dévale
La pente ouverte pour revenir
A de plus justes avenirs.

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Il ne faut pas renvoyer la pareille de l’ascenseur mais il faut renvoyer l’ascenseur de l’appareil.

Lyane Bolac

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