Les hommes sont si nécessairement fous, que se serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou… Pascal (Pensées livre 1)
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Si j’étais le petit prince, je serais le petit prince.
Si j’étais une fleur, je serais la rose du petit prince. Si j’étais un animal je serais le renard. Si j’étais une plante je serais un épinart, ou peut-être une herbe d’or.
Le petit prince avait le secret de l’herbe d’or. Il ramonait régulièrement les volcans éteints de sa planète B612 et régulièrement faisait remonter à la surface cette plante folle qui allait risquer sa vie en allant croître au fond des cheminées éteintes. Au moment de son départ, sa rose, triste de le voir partir et connaissant le secret de l’herbe d’or lui demanda d’en prendre avec lui puis le regarda s’envoler vers la terre en cachant son chagrin, ne sachant si elle le reverrait un jour. Ainsi elle savait qu’il pourrait parler aux animaux, ne serait donc jamais seul, et qu’il aurait l’idée d’en planter près des oasis, dans le désert, pour que les explorateurs des sables ne soient jamais seuls non plus dans ces lieux inhabités. La rose avait lu le livre, et pourtant, toute avertie de l’assurance de le revoir, elle continuait à se dire qu’un jour elle apprendrait une mauvaise nouvelle, qu’un oiseau migrateur passerait par là, en lui apprenant que le serpent se serait trompé d’angle, que le petit prince se serait égaré sur une planète éloignée, inconnue. La rose avait des inquiétudes heureusement passagères, et puis ses trucs pour repousser les pensées empoisonneuses. Elle regardait le ciel et les étoiles, et se disait en pensant à lui, que même loin il était là, en elle, autour d’elle, et cela suffisait à la rassurer.
– Arrête, Elodie, c’est pas la vraie histoire !
– Oh tu vas pas commencer non ? Tu veux une histoire pour t’endormir ou t’en veux pas ?
– Je veux la vraie !
– Bon, écoute ma pépette, j’ai pas la mémoire bien grande alors je te la raconte comme je peux.
– Raconte, tatie Elodie. Mais d’abord, raconte moi l’herbe d’or.
Il y a longtemps, très longtemps, il y eut un petit prince qui vint au monde au pied d’un arbre. Sa mère, une pauvre esclave soumise à son maître le roi du l’abandonner là pour lui éviter la mort que réservait le roi à tous ses bâtards, il fut recueilli par les elfes, élevé dans leur univers magique, devint un homme magnifique qu’elle ne revit jamais. Le jour où elle pu revenir sous l’arbre pour pleurer son enfant, elle vit pousser de ses larmes cette fameuse plante.
C’est pour ça que le vrai petit prince a des cheveux de la couleur des blés. L’herbe d’or se développait peu mais le hasard voulu qu’une graine fut ingurgitée par une perruche du Gabon qui vint à faire ses besoins sur la planète B612. Le petit prince n’aimait pas les crottes, il les envoyait systématiquement au fond des volcans éteints, tu vois bien que l’histoire se tient !
– Naaaan tatiiiie, me prend pas pour une bille ! Mamie me la lit souvent, et elle, elle me lit la vraie !
– Mais je n’ai pas le livre, alors, on fait comment ma tite Lisette ?
– Bon, d’accord, mais écourte, tatie. Alors, il arrive sur terre, il rencontre le renard, papote un peu, devient son ami, plante une racine, les hommes passent par là, trouvent la plante jolie, la ramassent, la font pousser dans leurs jardins, découvrent leurs propriétés, et puis quoi tatie ?
– Tu vois que tu connais aussi cette version ! C’est là que ça se corse, ma Lisette. Ils n’étaient pas nombreux à connaître le secret de la plante mais commençaient à s’en servir de façon abusive. Ils obtenaient des renseignements de façon si indiscrète auprès des animaux que ces derniers furent obligés de se révolter. Ça fit un de ces vacarmes. Les animaux s’arrangèrent pour détruire la plante, et l’histoire fut bientôt oubliée.
Un seul d’entre eux cachât une racine dans une urne funéraire, laissant les indications dans un ouvrage écrit de sa plume.
– C’est pas un peu morbide, là, tatie ?
– C’est que c’était le seul endroit qu’il avait trouvé et où personne n’irait fouiller !
– Et comment s’appelle cet ouvrage tatie ?
– Alice au pays des merveilles ma Lisou.
– Rhhôô ! Tu l’as lu alors ?
– Oui.
– Et tu as retrouvé l’urne ?
– Oui aussi. Alors pour ton non-anniversaire de maintenant, tu pourras toucher à l’herbe d’or et tu n’auras plus qu’à bien utiliser ce pouvoir. Tu seras en sécurité partout grâce à tous les animaux, prends bien soin d’eux, ils te le rendront bien. Tu verras, ils sauront te montrer des choses que personne d’autre ne pourra voir, et avec eux, tu pourras résoudre bien des difficultés.
– On commence par quoi tatie ?
– Par le zoo ma chérie.
– Quand maman va savoir ça !
– Bah ! Ne t’en vante pas trop, je suis censée te faire dormir tout de même.
– Je sais ! Je suis tellement excitée d’aller leur parler que je crois que je ne fermerai pas l’œil de la nuit !
– Et moi tellement contente de partager enfin ce secret avec toi ma Lisou que je crois que je ne tiendrai pas non plus une seconde de plus.
– Alors viiiite, tatie, allons-y tout de suite. Promis, maman n’en saura jamais rien.
– De toute façon, dis-toi bien que personne ne te croira. Pourquoi crois-tu que je sois restée dans le silence durant tout ce temps ? Mais je savais aussi qu’un jour je pourrais partager ça avec toi. Ne me demande pas pourquoi, je le savais, c’est tout.
– Après tout, c’est peut-être toi le petit prince, tatie Elodie ?
– Lequel ma chérie ? Le nouveau ou l’ancien ?
– Le nouveau, bien sûr. Celui qui cultive l’herbe d’or dans les volcans éteints sans le savoir !
Tante et nièce, bras dessus bras dessous partirent donc en direction du zoo. Arrivées devant, Elodie sorti l’herbe jaune qu’elle fit toucher à sa nièce.
C’est là que l’histoire commence.
Le zoo de Rennes La garenne
Visiter un zoo en pleine nuit n’est pas des plus pratique. Le guichet est fermé, les grilles pas moins, l’accès donc pas plus. En longeant les enjamboirs de son périmètre, on enjambait facilement l’obscurité avec plus ou moins de chances de se retrouver dans les parcelles destinées aux animaux. Avec Elodie, vu que c’était toujours plus que moins, elles y arrivèrent sans difficulté.
C’est en empruntant cette voie qu’elles se retrouvèrent dans le box des sphinx. Créatures mystérieuses mi-papillons de nuit, mi-oiseaux nocturnes, qui avaient la particularité d’avoir une tête de licorne tout en étant totalement inoffensives. Leur ouïe particulièrement développée leur permettait de capter les sons les plus éloignés, rien de ce qui se disait entre les animaux où les hommes ne leur échappait. C’était le bureau des renseignements et c’est par là qu’Elodie commençait habituellement sa visite nocturne, lorsqu’elle y venait seule. Elle prenait la température, comme elle disait.
Ce jour là, en la voyant arriver en compagnie, ils ne daignèrent pas leur adresser la parole. Elodie eut beau faire, leur expliquer, les rassurer, ils ne décrochèrent pas un seul mot.
– La visite commence bizarre, s’ils ne se mettent pas un peu à parler, tu ne sauras jamais si tu peux les entendre où pas !
Lisette, toute occupée qu’elle était à caresser le ventre rebondi d’un des leur ne semblait pas se rendre compte de l’ironie de la situation.
– Regarde comme ils sont doux, s’extasiait-elle.
Le box suivant était le vivarium. Une forte odeur d’ammoniaque les accueilli pendant qu’un léger sifflement résonnait.
– Whouah ! Paw paw paw ! Mais regardez qui vient ce soir ? Dis-donc L’hello, tu vas pas nous ramener toute ta famille, non plus ! Manquerait plus que toute la ville défile aussi la nuit, c’est déjà bien assez de les voir le jour, tu ne crois pas Misi ?
Là dessus un long boa de quatre mètres de long s’approcha de Lisette et vint la saluer.
– Tu ne vas pas manger l’éléphant, comme dans le petit prince, demanda Lisou ?
– Ah, tu connais l’histoire ? C’était moi mais quand j’ai vu que je ressemblais à un chapeau je me suis demandé si je ne devais pas manger plutôt des girafes, pour ressembler à…
– C’est bon Misi, tu vas pas radoter, c’est fini ce bon vieux temps. Mange tes croquettes et tais-toi !
– Pour ressembler à quoi repris Lisette ?
– A un phare ! Je signalerais aux marins les dangers de la mer. Emettrais des signaux. Me ferais voir de loin.
– Rassure toi Misi, tu ne passes pas inaperçu. De nous tous, tu es le plus gros du quartier.
– Mouais, mais bon, j’aurais voulu être un phare, un girophare quoi !
– On a tous des rêves inachevés mon gros lapin. Mange tes croquettes que j’te dis, cherche pas à éclairer, pour ça il faut une lanterne, aller, rendors toi. Laisse la place à ceux qui savent.
– A une lettre près, laisse la place à ceux qui sauvent !
– Ptttffff qu’y sont langues de vipères ceux là !
– Littéraire un jour, littéraire toujours !
– Tatie, ils sont bizarres ces rampants !
– Ils sont toujours comme ça, lui chuchota Elodie. De temps en temps ils ont un brin de génie, mais ils ne peuvent pas s’empêcher de jacasser et de se chipoter le reste du temps. Il faut du temps pour apprendre à les découvrir. Cette allure de chapeau leur a donné le goût du déguisement. Aujourd’hui, ils sont déguisés en croquettes pur bœuf. Demain sera un autre jour.
– Passons à côté.
A côté, il y avait l’enclos des girafes. Sophie, roulée en boule dans un coin, dormait.
– Oh ! Tatie, comme elle est belle, regarde son joli cou plié sous sa patte, je peux la caresser ?
– Nous devons lui demander son autorisation d’abord. Elle pourrait mal le prendre et avoir un mauvais réveil.
Sophie bougea dans son sommeil, puis ouvrit une paupière, la referma, ouvrit la deuxième paupière, la referma et ne bougea plus.
– Elle déprime, glissa Elodie à l’oreille de Lisette. Je n’ai rien trouvé d’efficace encore pour la sortir de là. J’espérais qu’elle serait curieuse de voir une tête nouvelle.
Lisette d’instinct avait approché sa main du long cou de Sophie et doucement se mit à la caresser.
– Ecoute, on dirait qu’elle se met à ronronner.
– Si j’étais du bocal à serpents je dirais qu’elle se met à ronchonner.
Puis de façon toute aussi instinctive, elle serra son petit corps de fillette contre le cou du bel animal et y reposa sa tête.
Sophie ronrochonnait bel et bien.
Et plus elle ronrochonnait, plus elle fermait les yeux pour que le temps s’éternise.
Lorsque Lisette s’éloigna d’elle, alors seulement elle se décida à ouvrir les yeux.
– Pourquoi es-tu si triste ma petite So ?
– Les hommes m’ont enfermée dans un tout petit enclos, je suis faite pour être dans les grands espaces de la savane, avec les miens. Comment tu ne veux pas que je déprime ? Et puis tous ces animaux autour de moi, qui sont malheureux, bêtes ou même encore méchants, ça n’aide pas vraiment à aller bien tu ne crois pas ?
– Oh ! Pauvre Sophie ! Mais c’est quoi être bête, ou être méchant ? Est-ce que c’est ça qui rend malheureux ?
– Il me semble qu’être bête c’est quand on croit savoir alors qu’en vérité on est ignorant. Et qu’être méchant c’est faire du mal à quelqu’un injustement simplement parce qu’on est malheureux. Par exemple, moi, je suis malheureuse, alors je crois savoir que me rouler en boule me fera du bien, mais au fond, je n’en sais rien. Je fais la bête dans mon enclos.
– J’ai une idée ! Et si tu venais avec nous ! On pourrait prendre le train et aller à la campagne, et tu verrais des arbres, de l’herbe, tu aurais de l’espace.
Le département de la Jouvence
C’est comme ça que ni une ni deux, mais toutes les trois, elles embarquèrent au petit matin pour filer en direction du grand air de la campagne.
Le grand air, ça, elle en prenait, la p’tite Sophie. La tête hors du train, elle s’amusait à perdre la respiration dans la vitesse de l’air, ne perdant rien du spectacle qui défilait, nature en mouvement.
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Le train, lui, attendait patiemment que la terre s’arrête de courir pour annoncer aux voyageurs qu’ils étaient arrivés à destination.
Elles décidèrent de descendre du train quand les paysages vallonnés mirent en relief les prairies tendres du département de la Jouvence. L’abbé Souris les accueilli dans son presbytère, leur offrit le gîte et le couvert.
Puis, une fois installées, leur conseilla la randonnée des demoiselles, qui rejoignait les deux bouts, partant du presbytère pour y revenir, tout en faisant découvrir au marcheur une variété de paysages infinis.
Enchantées toutes les trois de cette proposition, les trois compèrettes, entendez par là les trois compères guillerettes, partirent d’un bon pas. Sophie sur ses longues longues longues jambes montée d’un long long long cou ouvrait la marche, elle donnait l’impression d’être montée sur deux compas, qui s’ouvraient et se refermaient en cadence. Fragile de la gorge, elle avait un boa en écharpe, qui ne cessait d’enrouler et dérouler ses anneaux dans un mouvement ondulatoire. De temps en temps, elle s’adressait à Misi, puisque vous l’avez tous reconnu, Misi le boa « chapeau éléphant recyclé girophare », qui, surgi d’on ne sait où, avait réussi à rejoindre nos trois marcheuses.
Des vaches paissaient paisiblement. L’une d’entre elles les interpella.
– Oh ! La girafe ! Tu s’rais pas Sophie par hasard ?
– Salut oh toi, vache des prés. Oui, c’est moi, mais personne ne me connaît ici, comment tu le sais ?
– Une abeille des Andes m’a parlé de toi.
– Et qu’est-ce qu’elle a dit de moi Maya ?
– Que vous vous étiez carapatés du Zoo des Carpates ! C’est du jamais vu, félicitations !
– Le zoo de Rennes la garenne tu veux dire ?
– Nous, ici, on l’appelle le zoo des Carpates ! A cause de la chauve-souris vampire qui dort la tête en bas. Il paraît qu’elle se nourrit du sang des animaux pendant leur sommeil.
– C’est l’histoire de Dracula ça ma bonne dame ! Ya confusion, ou télescopage, c’est comme on veut ! Mais toi, tu voudrais pas te carapater avec nous par hasard ?
– Moi je suis là pour donner du lait au fermier. En échange, il me nourrit, mais cela me coûte fort cher, il me prend aussi mes petits, les envoie dans des camps de concentration, en fait des têtes, des pâtés, des rôtis. Moi il me garde car je suis une bonne laitière, mais quand je ne donnerai plus assez, je finirai gazée comme mes enfants.
– Alors sauve toi avec nous !
– Je ne peux pas. Moi je suis là pour donner du lait au fermier… […] … finirai gazée comme mes enfants.
Sophie versa une larme et salua la vache d’un hochement de tête.
– Quelle serait la solution à ça demanda-t-elle ?
– Il n’y en a pas, alors je goûte l’herbe tendre comme si je devais mourir demain, et je me dis que j’ai de la chance d’être en vie. C’est tout !
– D’être en envie de vie aussi tu veux dire ?
Mais la vache ne répondit plus et se détourna d’eux en grande indifférence feinte.
– Tu ne veux pas lâcher tes congénères, n’est-ce pas ?
Elles reprirent la marche après s’être souhaité mutuellement tout le bonheur possible. La vache, qui n’avait pas le cœur à y croire vraiment, reprit ses ruminations inquiètes et indigestes aux multiples panses.
Plus loin, elles virent des moutons qui broutaient, s’arrêtèrent et entreprirent une conversation.
– Houhou, comment vous appelez-vous ? Pourriez-vous nous renseigner ?
Une jeune femelle s’approcha, un peu craintive.
– Mééééééh ! Moi je parler pas bien mais j’essayer.
– Ah bon ? Vous ne discutez jamais entre vous ?
– Non, regarde les, ils ont la mort dans le regard. Ils n’existent pas de leur propre chef, ils savent qu’ils sont là pour être mangés, mais ils font comme si tout cela n’existait pas. Ils s’occupent l’esprit à brouter, ils s’imitent, se regardent, se comparent, et finissent par jouer leur rôle de mouton à la perfection.
– Oh, les pauvres ! Mais comment as-tu appris à parler alors ?
– Moi ? J’ai fait la sourde oreille à leurs non-communications, et j’ai écouté le chien du berger, le berger, les abeilles et les mouches de printemps.
– Mais tu parles bien en fait !
– C’est Maya qui souffle à mon oreille.
– L’abeille ? Mais oui, je la vois ! Oh mais la pipelette, celle-là ! Elle a trouvé une place de rêve en tant qu’interprète, à aimer parler comme ça ! Comment tu t’appelles ?
– Je n’ai pas de nom, tu comprends, comme mes parents ne parlent pas, ils n’ont pas pu me donner de nom.
– Il te faut un nom, sinon, comment je saurai que c’est de toi qu’un papillon ou une libellule viendra me donner des nouvelles ?
– Mais oui, voyons voyons ! Maya, c’est déjà pris parce que je trouve ça joli. Yaya ça fait gaga, lady Gaga c’est pris aussi, Lady Maya, c’est joli tiens !
– Et bien, lady Maya, veux-tu te joindre à nous ? Nous crécherons séant au presbytère de l’abbé souris, réputé du département de la Jouvence.
Sur ce, Sophie tendit la tête au dessus des barrières pendant que Misi, enroulée d’une extrémité au cou de Sophie se saisissait du mouton par l’autre extrémité pour le déposer hors de l’enclos.
– Voilà, dit Sophie. Ce qui ne peut être fait seul peut parfois l’être à deux.
La balade continua de plus belle, ils entrèrent bientôt sous une allée arborée qui les conduisit à une forêt débouchant sur une clairière. Au milieu, dressée vers le ciel, se tenait une immense termitière. La reine, perchée au sommet, fouettait du verbe « menacer » son peuple afin qu’il ne cesse de s’activer à la construction.
– Reine des termites, pourquoi veux-tu que tes esclaves aillent plus vite ?
– Je veux aller toucher le ciel, et le plus vite sera le mieux ! Mêlez-vous de vos affaires sinon il vous en cuira ! Allez, ne ralentissez pas cria-t-elle aux ouvrières affairées.
– Mais vous allez les tuer, les affaiblir, en tout cas les rendre malheureuses. Ne pourriez-vous pas en faire des amies, des alliées, plutôt que des subalternes ?
– Vous êtes donc bien naïfs ! Croyez-vous que quelqu’un m’ait aidée, moi ? Je suis la reine, et mon devoir de reine, c’est de dominer mon peuple. C’est dans l’ordre des choses, vous n’y pourrez rien changer ! Aucune d’entre elles n’ont idée d’aller toucher le ciel. Mes ouvrières ne désirent qu’une seule chose, être à mon service, c’est tout ! Circulez, j’ai du travail, si je ne les fouette plus, elles finissent par ne plus rien faire.
– Elle remplit sa fonction de reine, soupira Misi enroulé autour du cou de Sophie. Chimère et survie de l’espèce, doublées de rêve mégalomaniaque, laissons la toucher du doigt d’elle-même l’utopie fondamentale.
– Bah ! Dans l’ignorance, je lui dirais bonne chance. Ces paradoxes me rendent folle ajouta Sophie d’un ton léger. On ne badine pas avec la perversion.
– L’erreur n’est pas monumentale, soupira à nouveau Misi. Elle est monumentée !
– Monumentable ! Répondit la girafe d’un ton accablé.
– Allons, ne nous attardons pas plus longtemps, mes amis, intervint Lisette. Il reste encore du chemin à parcourir. Cette tour me fait tout de même penser aux gratte-ciels. Je me suis toujours demandée si les puces habitaient le ciel pour avoir tant besoin d’être gratté ajouta-t-elle rêveusement.
La tante, la nièce, la girafe, le boa, le mouton et l’abeille reprirent la marche.
Dans l’ordre, Elodie la gardienne de l’herbe d’or, Lisette l’héritière, Sophie aux deux compas et à la tête de phare, Misi enroulé autour du cou de Sophie, Lady Maya, et Maya en personne juchée sur l’oreille de Lady Maya. Une fois la forêt dépassée, une vallée encaissée les accueilli joyeusement au son du ruisseau fougueux qui la traversait. Des truites, ça et là, bondissaient en remontant le cours d’eau.
– Regardez, s’écria Sophie, le soleil envoie des piques de feu sur leurs écailles, comme c’est une brillante idée. Les truites ont l’air de s’amuser follement dites donc !
– Ce n’est pas exactement ça, rétorqua aimablement une truite qui flânait en bordure du cours d’eau.
– Laquelle de mes propositions n’est pas exactement cela, s’il te plaît ?
– Les piques de feu ne sont pas réelles, elles ne sont que le reflet fugace des rayons lumineux. Les truites tentent de les attraper, mais aucune truite n’a réussi à se saisir ne serait-ce que d’une seul morceau. Il faudrait pour cela passer de l’autre côté du reflet.
– Mais cela reviendrait à entrer dans la truite ? Elle ne pourrait plus bondir hors de l’eau si quelqu’un venait à entrer en elle, car il faudrait pour cela la découper, et elle en mourrait.
– Alors nous continuons à jouer avec, au moins, nous n’aurons pas tout perdu !
– Pas tout gagné non plus !
– Quand nous aurons trouvé une autre façon d’entrer, je suppose que nous pourrons compter les rayons, il doit y en avoir une belle collection, depuis que le soleil nous en envoie, et depuis que nous jouons à les attraper.
– Alors tu crois à leur existence finalement ?
La truite s’ouvrit d’un large sourire et d’un coup de nageoire vigoureux disparut de la surface de l’eau.
– C’est ce qu’on appelle une belle conversation en queue de poisson, finit par dire Sophie dans un grand sourire. Quelle originalité ! Quels contrastes ! Tous ces mondes différents finissent par me donner le tournis ! Quel sera le suivant ?
Retour au presbytère
En fait, elle joignirent les deux bouts à cet instant même. Une fois la vallée traversée, le presbytère en vue fût si vite rejoint que personne n’y rien compris. L’abbé Souris les attendait, ravi de recevoir une compagnie si peu ordinaire. Il avait dressé une table en grande simplicité, où tout le monde s’installa en toute simplicité. Malgré tout, Sophie, gênée par son long long long cou, ne sut comment porter la cuillère à sa bouche sans renverser une goutte de nourriture. Elle finit par se pencher sur l’assiette et, aspirant bruyamment, englouti son plat dans un bruit résonnant de schlurps bouillonnants plus bruyants les uns que les autres. Lady Maya s’en tirait un peu mieux et de façon légèrement plus discrète, elle enfournait méthodiquement en émettant des miams, groinfs ou autre onomatopées que Maya tentait d’amortir en bourdonnant à fond les manettes. Seul, Misi, peu en appétit devant la nourriture morte, se gardait bien d’y toucher.
– C’est du veau marengo, vous n’êtes pas tenté, Misi ? Demanda l’abbé.
– C’est que… C’est juste un peu trop mort pour moi !
– Oh, mais il était encore vivant hier, vous savez ! Très très vivant même ! Peut-être même trop, c’en était agaçant à la fin. Il bramait toute la sainte journée à pleurer sa mère celui-là ! Ce n’était pas décent, tout simplement !
– Vous tuez les enfants qui pleurent alors ? rétorqua le boa, pris d’une bouffée de fureur.
– Il n’y a pas d’enfants qui pleurent au presbytère, Misi, répondit doucement l’abbé. Puis, il fondit en larmes et, se mouchant bruyamment, laissa s’installer le silence.
Lisette regardait sa tante, ne sachant plus que dire.
– Ambiance plombée, amis du jour, bonjour !
Tout le monde alla se coucher ce soir là le cœur lourd, oui, certaines choses sont parfois dures à voir.
Mais alors, finalement, les moutons qui jouaient à être des bons moutons, à s’empêcher de penser pour ne pas en souffrir, ils auraient trouvé la recette du bonheur ?
C’est là que le voyage de retour au zoo se décide.
Ou pas…
Le lendemain, au petit déjeuner, tout le monde avait pris le ton le plus léger qui soit, et babillait gentiment quoique de façon un peu surfaite, puis finirent par aborder la question éludée la veille. Mais cette fois qu’importe, le liant de la légèreté ayant fait prendre la sauce, les convives se surprirent à fou rire en revoyant la scène, l’humour a des vertus euphorisantes et réparatrices, c’est bien connu. A tour de rôle ils prirent la tête de veau, jouèrent à être le veau, puis le boucher, puis la vache et enfin le prisonnier.
Choix mince que de se retrouver en équilibre dans un nid de non dits.
A l’heure de partir, l’abbé souris les remercia de leur visite et leur fit promettre de revenir le voir. Puis, pour les remercier d’avoir acquiescé à sa demande, cette fois, ce fut lui qui leur promit de penser mieux à l’avenir. Et de commencer un régime à la graine, pour en prendre un peu.
Elodie et Lisette reprirent le train avec leurs quatre nouveaux amis. Sophie repris sa vie dans l’enclos, cette fois accompagnée de Lady Maya à qui elle appris à parler littéraire. Maya revenait régulièrement leur rendre visite. Misi retrouva les siens, Lisette sa mère. Et de temps en temps, ils s’échappaient tous ensemble pour aller rendre visite à leur grand ami, l’abbé souris, réputé du département de la jouvence.
La révélation
Il n’empêche que ce petit voyage initiatique avait bouleversé leur façon de voir les êtres, la vie, la terre. Lors de leurs nombreux séjours au presbytère, leur vint cette évidence. Le corps est une matière, une matière habitée. Lorsque la matière n’est plus habitée, le corps se disloque, disparaît en molécules, est à nouveau dispersé dans la matière Terre. Une nouvelle distribution de matière organisée habitée se fait lorsqu’un être vivant vient à naître. Au fond, la vie, c’est quoi ? C’est un esprit qui habite une matière. L’évidence était si flagrante que tous se demandèrent comment ils n’y avaient pas pensé plus tôt. C’est que les conditionnements étaient si forts que toute la pensée avait été centrée sur la matière, et non sur l’esprit.
Donc cette matière qui se multiplie, par la reproduction de l’espèce, la surpopulation, la croissance, produirait de la matière ? Ce qui laisse supposer que la matière issue de la multiplication des êtres vivant est censée alimenter la quantité de matière présente sur Terre. Scientifiquement, rien ne peut prouver cette théorie, puisque nous ne pouvons peser la Terre, et que même si nous avions la possibilité de le faire, l’eau et ses variations d’état fausserait les chiffres.
Est-ce que l’esprit se multiplie aussi ?
L’esprit, une fois dégagé de la matière, seul, ne peut-il agir sur la matière ?
Toute matière était-elle obligatoirement habitée de l’esprit ?
Ce qui sous-entendrait que la Terre est un être vivant habité d’un esprit.
Donc, si l’infiniment petit est à l’image de l’infiniment grand, nous pourrions supposer que la Terre n’est jamais qu’une partie d’un atome faisant partie d’un organisme faisant partie d’un monde, etc…
Dans l’idée, cela nous ferait imaginer un infiniment grand qui serait toujours un infiniment petit pour un autre infiniment grand, etc.
En tout cas, peu importe à quel niveau la Terre se situe dans le cosmos, mais peu n’importe pas la qualité de l’esprit qui y habite.
La conscience était là pour ça.
En allant un peu plus loin, ils se rendirent à l’évidence que la conscience avait besoin d’un guide de conscience. Le processus était le même que l’éducation, l’apprentissage, mais la conscience avait besoin d’être réveillée pour croître.
Le premier laboratoire allait se tester sur le troupeau de moutons.
Etait-il possible qu’ils sortent de leur torpeur déniante, mais surtout, quels outils utiliser afin de susciter chez eux l’interrogation nécessaire au processus d’interrogation et de remise en question ?
Elodie suggéra que si l’herbe d’or permettait aux humains de communiquer avec les animaux, il devait bien exister une herbe qui permettrait aux moutons de communiquer avec les humains. Une herbe qu’il désignèrent du nom suivant : Héliotrope, ou nourriture solaire.
A la recherche de l’héliotrope
Retour au bord du ruisseau, première piste solaire, les truites.
Comment accéder à la réserve de rayons contenues dans leurs corps sans les tuer ?
Autre suggestion, est-il possible d’équiper les moutons d’écailles, afin qu’ils fassent eux-même leur propre collection de rayons ? Ce qui les conduisit directement à l’idée suivante, si les moutons avaient une toison d’or, ils seraient naturellement équipés de récepteurs de rayons.
Après avoir tourné et retourné en tous sens toutes les hypothèses possibles, ils en déduisirent que l’héliotrope poussait probablement sous les rayons directs du soleil. Là où ce dernier brille le plus fort. Donc dans les contrées les plus chaudes, c’est-à-dire, les déserts. C’est là qu’ils envisagèrent de construire des récepteurs de rayons, immenses réflecteurs de lumière permettant une large diffusion environnementale, redistribuant par ricochets conducteurs l’énergie catalytique aux moutons restés dans la vallée de la jouvence. L’héliotropie était née.
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