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Archive for décembre 2020


Un joyeux tic-tac s’élevait de la grande comtoise. Il n’était pas arrivé d’un coup, il avait pris son temps pour faire entendre sa note joyeuse.
Tout avait commencé dans l’atelier de l’horloger.
C’était un homme précis, droit comme un « i » dont le point viserait l’astre du jour pour en faire le centre rayonnant au faîte de son tronc.
Toutes ses commandes étaient en retard lorsque Marco, illustre horloger de Venise, eut cette idée lumineuse. Construire l’horloge du bonheur.
– Rien moins que cette loufoque idée ! Lui avait lancé son plus gros client, le comte de Monte-Mario.
– Rien moins ! Avait répondu Marco du tac au tac, dans la plus grande simplicité.
Et sourd aux moqueries et quolibets de la multitude des discours ironiques de ceux qui avaient abandonné toute tentative au bénéfice d’une sagesse masquant leur désespoir, Marco s’était attelé à la tâche en sifflotant sur les airs mélodieux vivaldiens.
C’est ainsi que, entre deux commandes, il assembla la belle comtoise.
Chaque pièce, usinée soigneusement, possédait la précision nette et millimétrée qui lui permettrait de s’ajuster à l’ensemble.
Le comte de Monte-Mario passait régulièrement s’enquérir de l’avancée du projet, tout en convoitant amoureusement sa réalisation finale.
Or, toute fin entendant un deuil, celui de son incomplétude, Marco procrastinait parfois, pressentant le départ du grand œuvre en d’autres mains.
Elle arriva à terme un dimanche, à onze heures trente cinq du matin, très exactement, et l’atelier résonna longuement de son premier tic-tac. Quelque chose comme un chant de rossignol faisait écho à sa tonalité, et le bruit enchanteur offrait à Marco mille sensations subtiles si merveilleuses qu’il en était transporté.
Mais le comte de Monte-Mario veillait, et lorsqu’il vint constater l’aboutissement du travail de Marco, il fut subjugué et offrit une somme astronomique à son auteur.
Marco n’avait pas le goût du luxe. Il venait d’un milieu simple, aimait la vie qu’il menait et refusa tout net de la vendre.
C’est alors que les fléaux du comte s’abattirent sur lui. Mille et une misères, diverses et vairées, que le vieux comte savait si bien réserver à ceux qui osaient résister à sa puissance.
La comtoise, imperturbable, continuait la cadence régulière de son tic-tac joyeux, mais bientôt ses notes n’atteignirent plus l’âme de son créateur. Les vents contraires du comte envahissaient le terrain.
Ainsi, épuisé de résistance tenace mais inefficace, Marco en vint à imaginer la possibilité de vendre son œuvre. Il invita le comte à une fête en petit comité et négocia âprement les termes de la transaction. Il avait bien compris qu’il n’y aurait pas d’autre réalisation à la hauteur de celle-ci.
Le comte de Monte-Mario accepta sans négocier. Il la désirait si fort et depuis si longtemps, sa belle comtoise, qu’il était prêt à se ruiner pour elle. Et l’emporta en sa demeure. L’horloge devint le joyaux d’une collection que l’écrin de la pièce dans laquelle elle fut installée ne démentit pas.
Hélas, les contes ont leur morale.
L’horloge, dont plus personne ne prenait soin, et qui en était réduite à produire un son visant à rendre heureux ses auditeurs, en vint à se taire.
Effondré, le comte se mit à dépérir. Plus de tic-tac du bonheur. La machine à rouages s’était enrayée. Son blocage mortifère gelait dorénavant le silence de sa lugubre glace.
Le comte partit en voyage pour guérir de la tristesse qui s’était emparée de son âme mais rien n’y fit. Lorsqu’il revint à Venise, la belle comtoise était toujours là, mais elle était comme sans âme.
C’est alors qu’il fit appel à l’horloger.
Marco s’était retiré au fin fond de la Toscane, dans le charmant village de Volterra. Il réparait bien encore parfois quelqu’horloge un peu déréglée mais sa nouvelle fortune lui suffisait pour vivre sans rien faire. Une part de lui était restée avec la belle comtoise, il y pensait souvent, et un fond de nostalgie flottait en lui dans sa présence absente. L’incomplétude était si habituelle qu’il finissait par ne plus ressentir le vide, il vivait paisiblement, doucement, mais sans joie.
Lorsqu’il reçut la demande du comte, il sentit à nouveau son cœur battre. Il allait revoir la belle comtoise. Mais que plus aucun son n’émane de sa création l’inquiétait beaucoup. L’œuvre de sa vie ne pouvait mourir ainsi. Elle était née pour être éternelle.
C’est ainsi qu’il prit la route pour rejoindre Venise.
Une fois arrivé sur place, le comte, qui avait tout prévu, lui mit à disposition tous les instruments nécessaires à la réparation.
Marco s’installa donc chez lui et, minutieusement, pièce par pièce, démonta la comtoise pour en comprendre le silence. Mais il eut beau chercher, désassembler, réassembler, rien n’y fit.
Alors, il eut l’idée de demander au comte de la reprendre pour voir s’il réussirait à résoudre ce mystère à distance, que ce soit en temps comme en kilomètres. Le comte y consentit.
Marco repartit donc avec l’horloge et l’installa dans sa nouvelle maison, bien en place, à l’endroit le plus ensoleillé.
Et bien, que vous le croyiez ou non, à midi, ce jour là, l’horloge fit à nouveau entendre son tic-tac joyeux.
Le comte de Monte-Mario oublia jusqu’à l’existence même de cette dernière.
Et Marco put vivre heureux, et ce, jusqu’à la fin de sa vie qui en était redevenue une.

Fin

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Ici le cœur se charge de douceur dans la profondeur du silence.
Ici les mots entrent et sortent librement.
Ils ont retrouvé la grâce sauvage originelle et ont acquis la délicatesse des anges.
Ici les yeux savent les merveilles de l’invisible.
Ils laissent aller, tranquilles, les horizons pour le subtil.
Ils laissent le temps imprimer l’âme.

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