J’aime bien aller à la chasse. L’autre jour, j’étais en train de pister une virgule polaire, lorsque je me surpris à grimper au mât de l’exclamation. C’est en faisant le tour du point à 360° que mes yeux se sont posés sur un nid d’astérisques.
J’allais en faire l’inventaire lorsque la virgule polaire est venue s’y percher, éclairant de sa biffure le repaire d’étoiles.
C’est là que je me suis dit : Le plus beau cadeau que puisse me faire la ponctuation, c’est bien de m’offrir le point de vue nécessaire à la compréhension de la nature polaire en me guidant vers la chaleur du nid.
Les philosœufs de la ponctuation recèlent bien des surprises.
Or, il s’avère que ce jour là, une virgule dissidente se glissa sous l’aile d’un échassier bleu.
Ça devait le grattouiller car je l’ai vu se tordre le cou pour aller voir entre ses plumes en grommelant :
– Qu’est-ce que c’est que cette cédille dermique qui serpente sous mon duvet ?
Moi, une cédille, s’étonna la virgule. Quelle vexation !
Si mon arrondi se griffe d’un mouvement de fraction, le bout de ma baguette va lui montrer comment je me passe de lettre pour être, non mais !
Et elle lui donne un coup de pointe d’un talon vigoureux.
Le héron au long bec pince l’intrus signalé par piqûre et l’extrait de son plumage.
– Va donc faire ton travail d’hameçon plus bas, hua l’animal sans desserrer le bec. Puis il laissa tomber la virgule dans l’eau.
La dissidente savait nager.
Elle suivit le courant jusqu’à la berge.
Intrigués, les poissons oisifs la suivaient parfois, mais sans appâts, que ce soit virgule, cédille ou hameçon, cette petite giclette d’encre ne présentait aucun intérêt, si ce n’est celle de la curiosité, n’en ayant jamais vu de leur vie*.
C’est leste, une virgule ; arrivée près du bord, d’une légère contraction, elle réalisa un saut de puce digne, se posa sur la berge et sécha sa couleur au soleil.
A deux pattes de moustique de là, un point l’observait.
Ça faisait tellement longtemps qu’il était en rupture de texte que la vue de l’arrivante lui rappela bien des souvenirs. Celle de l’échappée finale d’un drame littéraire, lorsque fatigué des dénouements sombres il avait fugué du roman.
En tant que point final de l’histoire, l’évasion s’était avérée facile.
Lors d’une promenade narrative, il s’était glissé silencieusement sur la tranche du livre et, prenant tout son élan par les bois, avait attrapé une aigrette de pissenlit qui voletait dans les airs pour aller rouler du point entre les galets d’atterrissage.
Depuis, ramassé en un tout petit centre, il observait et découvrait, émerveillé, toute l’activité vivante et vibrante de l’étang.
Alors, voir arriver une virgule, vous pensez bien l’inconcevable d’une telle situation.
C’est tout un lyrisme qui déferlait avec elle.
Il allait devoir s’extraire à nouveau pour retrouver le présent et son réel poétique.
Mais qu’était-elle donc venue faire loin de toute intrigue littéraire ?
Était-ce le signe de ponctuation annonçant la respiration, l’espace du silence, l’interruption volontaire de la phrase naturelle ?
Les freins au vertige d’élocution sont si nécessaires au calme que le point en venait à s’interroger soudain sur l’effervescence environnementale.
Qu’est-ce qu’une virgule, décollée de la dernière lettre du mot qui la précède, allait bien pouvoir insuffler dans sa vie contemplative ?
Heureusement que toutes les ponctuations du patrimoine écrit ne projetaient pas de se réunir en ce lieu, le paysage en prendrait un sacré coup d’ombrage, pensa-t-il.
Vous imaginez le genre ?
,,, ;; ! … : ? () [ ] « » / .
Un vrai cacophonage. Une vraie siphonation typographique.
Pendant ce temps, une fois toute l’eau de ses rondeurs évaporée, la virgule balaya du regard les alentours. Quelqu’un l’observait. Une sensation très particulière lui indiquait.
Devait-elle s’inquiéter ? Existait-il des prédateurs à virgules en ces contrées inconnues ?
Elle saisit son courage à deux extrémités et tenta le point d’interrogation.
– Il y a quelqu’un ?
Silence.
– Ne faites pas comme si il n’y avait personne ! Je sens bien qu’on me regarde.
– Salut.
– Ah ! Je le savais bien !
– Tu viens de quel roman ?
– D’un recueil de poèmes, et toi ?
– D’Hamlet.
– Purée !
– C’est ça… C’est quoi ton poème ?
– Liberté, d’Eluard.
– Impossible. Il n’a aucune ponctuation.
– Je sais. C’est une erreur des éditions de minuit. C’est bien pour ça que j’ai pris la tangente, ils voulaient m’éliminer. Et toi, tu t’es tiré d’Hamlet pour quelle raison ?
– Bah, j’étais le point final. Il y avait tellement de morts, ça m’a déprimé sec. J’ai même eu peur de tomber raide. Alors, je me suis jeté hors du livre et j’ai roulé. Tu me vois, d’ici ?
– Bein, ça va mieux. Tout à l’heure tu étais tellement plus… Disons… Concentré.
– Je me demandais quel impact tu allais avoir dans cet environnement.
– Le silence du souffle, en toute logique.
– Ici, la logique change. En tant que point de fin, j’étais condamné à me taire à jamais.
– Et moi, à reprendre mon souffle.
– Et si on s’associait ?
– Nous ferions un sacré beau point-virgule !
– C’est tellement plus équilibré…
* Jusqu’à 40 ans pour un poisson rouge : https://www.peuple-animal.com/la-longvit-des-poissons/
Joyeux Noël à tous.
Amoureux des glyphes et de la nature inclus.