Ouvrir une fenêtre sur l’abysse de l’inconnu n’était pas chose simple, et pourtant, un explorateur avait décidé de relever le défi. Il s’appelait Paul Alexandre Lebon.
Pour s’équiper, il avait choisi les outils les plus divers mais les plus simples, en avait fait une synthèse, puis s’était mis au travail.
Il avait commencé par faire le tour du monde pour rassembler autour de lui les connaissances des explorateurs les plus ingénieux, afin de constituer la banque de données la plus fournie possible, qui régulièrement était complétée, discutée, partagée.
Puis l’expédition s’était montée, une fois les territoires identifiés. Un plan d’actions progressif venait indiquer la méthode à employer, rien n’avait été laissé au hasard, bien que pourtant toutes surprises y étaient justement les bienvenues. Car c’était là le paradoxe, avoir une discipline au millimètre pour aller débusquer l’inattendu.
Enfin, entouré d’un groupe de volontaires curieux d’aller à la découverte des profondeurs, Paul Alexandre décida de la date du départ. C’est toujours un peu empreint de fébrilité, les départs d’aventure. Les plus impatients durent freiner leurs ardeurs afin de progresser dans la sécurisation la plus réalisable qui soit, aucune prise de risques inutiles n’irait mettre en péril une telle démarche.
Vint donc le moment de se mettre en marche.
Le groupe rassemblait vingt et une personnes, y compris l’organisateur de l’expédition, toutes de milieux très différents, mais réunies autour du projet d’exploration avec une même volonté de découverte de l’inconnu.
1 Marine, qui étudiait les milieux marins depuis quelques années, espérait en retirer de nouvelles compétences. Les dernières mois de recherche lui avaient donné l’impression de stagner, elle avait besoin de se renouveler et d’avancer dans de nouvelles directions, et ce voyage allait peut-être lui apporter de nouvelles sources d’évolution.
2 Bienvenu avait un rêve, celui de tout comprendre. Il dévorait livres et œuvres de penseurs, assoiffé de tous raisonnements lui permettant d’y voir plus clair. Toute utopique soit sa recherche, elle lui permettait malgré tout de ne pas sombrer dans un pessimisme désabusé, de garder l’espoir chimérique mais porteur de réussir un jour à tout comprendre et de constituer progressivement un art de vivre en équilibre.
3 Roger voulait changer le monde. Il poursuivait l’idéal d’un monde meilleur, en paix, fait de petits bonheurs simples. Il pensait trouver dans l’abysse de l’inconnu le truc qui l’aiderait à approcher cet idéal.
4 Hector était un résistant qui venait chercher la force de résister. Le monde de l’image avait figé le mouvement en le fixant sur une pellicule glacée. Il tentait de réveiller la douceur du printemps dans les clichés endormis.
5 Gatien était un résistant potentiel qui cherchait à quoi résister. La routine, la violence, l’indifférence, les interdits à l’emporte pièce, l’injustice ? La liste était longue. Il tentait de trouver une hiérarchie cohérente.
6 Gaël entrait dans la résistance et voulait savoir de quelle manière résister en priorité. Il cherchait le mode d’emploi, la stratégie la plus efficace.
7 Arsène cherchait à ne plus résister, mais simplement à accompagner le mouvement et le diriger vers la clef de la réalisation.
8 Adèle savait qu’elle aurait de nouveaux points de vue en sortant de l’aventure. Sa motivation était forte, pour couvrir le panorama du monde environnant d’un regard le plus large possible.
9 Alice désirait un souffle nouveau. Vivre du nouveau, créer quelque chose d’autre que tout ce qu’elle avait pu vivre jusqu’à présent. Elle cherchait un guide de réinvention de vie. Elle l’avait trouvé en la personne de Paul Alexandre.
10 Angèle espérait découvrir le principe de développement du goût du partage. Elle voyait bien qu’il était possible de faire passer ce goût à d’autres, comptait bien l’acquérir et le disperser autour d’elle.
11 Barbara quant à elle souhaitait acquérir de nouvelles connaissances à partager. L’abysse était le lieu des compréhensions par excellence, elle n’aurait pour rien raté le voyage.
12 Pour Fabrice les choses étaient un peu différentes. Il n’avait aucunement l’intention de trouver quoique ce soit bien qu’il sache qu’il en retirerait forcément quelque chose. Il accompagnait simplement son meilleur ami, soutien inconditionnel amical, prêt à accueillir toute forme d’imprévisible.
Les huit autres participants étaient des fervents fidèles du pionnier et le suivaient depuis tellement longtemps qu’il était devenu impensable pour eux de ne pas graviter dans son cercle. C’est que la vie que savait créer Paul Alexandre autour de lui était si enrichissante sur tous les plans que la recréer ailleurs ne réussirait pas à égaler la qualité de cet environnement, alors l’alimenter de réciprocité étant une source de joie pour tous, il n’y avait aucune raison de la quitter. Ils étaient comme une grande famille harmonieuse, mutualisant leurs forces, partageant leurs incertitudes, mais progressant irréductiblement vers la connaissance d’eux-même et du monde, vers une diffusion des fruits de leurs recherches.
Tout ceci constituait l’originalité du groupe. Chacun venant participer à hauteur de ce qu’il était capable d’offrir tout en étant réunis autour d’une même cause, celle d’aller vers plus de conscience.
Paul Alexandre déroulait la carte et guidait l’expédition.
La première partie du voyage se déroula lentement. Le terrain était accidenté, la marche difficile. Le groupe avançait péniblement, peu de paroles s’échangeaient, mais avertis de l’aspect difficile du parcours, personne ne démissionnait. Il y avait beaucoup de dénivelés, des rochers se détachaient parfois, déboulant des sommets au risque d’écraser les marcheurs au passage. La stratégie adoptée était celle du chapeau. Les bords renforcés envoyaient les signaux nécessaires à l’avertissement, un pas de côté, et la roche dégringolait sans faire ni morts ni dégâts matériels vers les fonds insondables. Régulièrement ils levaient leurs chapeaux à l’efficacité du procédé.
Lorsqu’ils eurent gravi le sentier étroit, ils débouchèrent sur une prairie ou un gîte les attendait. Le temps coulait comme une rivière, naturel, fluide, sans heurt, malgré la difficulté du voyage.
Chaque jour qui passait ainsi les rapprochait de leur but. L’altitude commençait à faire sentir son manque d’oxygène. Certains passages comprenaient leur lot de difficultés, c’était ainsi, il était nécessaire de l’accepter pour aller jusqu’au bout.
Jusqu’au jour où après avoir gravi, puis redescendu la montagne Lanterneau, ils atteignirent enfin l’abysse.
Tous les bleus les plus profonds déclinaient leurs nuances à l’infini. Des taches plus claires émergeaient par endroit. Le paysage, d’une beauté inouïe, n’était plus que ciel et eau bordés des continents, immensité et infinitude, rien en surface ne permettait de penser qu’une fenêtre s’ouvrirait en ce lieu. Pourtant…
Paul Alexandre demanda au groupe de se positionner en cercle, allongés à terre, têtes réunies.
Puis, il sortit une flûte de Pan et se mit à jouer.
Pour déverrouiller une surface : un mariage de forces unies, un air enchanté, et le miracle s’accomplissait.
Les eaux se sont ouvertes mettant toute sa profondeur en lumière.
Une lumière éblouissante, fulgurante, jaillissant de nulle part, de partout, vint alors les aveugler. Une fois accommodés les regards se tournèrent vers la fenêtre.
Ce qu’ils y virent les déconcerta au plus haut point.
Il n’y avait rien. Absolument rien. Vide ou néant, appelez ça comme vous voudrez. Et ce rien entrait dans leur esprit au point de leur faire oublier qu’ils existaient.
Ils auraient pu rester là, cloués, pour l’éternité.
C’est un grand chien noir qui vint les tirer du néant. Hasard de la destinée il s’était amusé à flairer les traces du groupe parce-que l’odeur de l’un d’eux lui rappelait son maître, qui n’était autre que Paul Alexandre Lebon.
Un simple jappement réussit à sortir le groupe du rien.
L’abysse se referma.
Le voyage de retour fut plus facile. La connaissance du chemin inverse faisait qu’un homme averti en valait deux, chaque piège de terrain devenait presque un jeu.
Ils discutèrent longtemps de cette expérience extraordinaire. Chacun d’entre eux en avait retiré quelque chose, quelque chose d’un tout. Ils avaient touché l’inexistence dans le rien, ce qui les avait conduit à leur tout individuel. Une fraction infime de l’abysse avait élu domicile dans leur conscience, et ce rien changeait tout.
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C5%9A%C5%ABnyat%C4%81
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ens%C5%8D
je reviendrais relire et commenter demain matin !
Voilà un récit à partir la vacuité de l’essence comme expliqué dans l’article de Wikipédia, renseigné par Jo, un nouveau « Voyage au centre de la terre » de Jules Verne. Il pourrait s’intituler, « Voyage au centre » du soi ? du monde ? du rien ? du néant, pas néant ? ou « Perpective de l’ignorance » comme titré. Un voyage intense qui donne à penser, à réfléchir, à respirer, à s’interroger, le tout en condensé !
Je n’y ai vu que du bleu… Je vais reposer mes yeux éblouis.
[…] sur la planche réfléxogènique et la laque se recouvre de cygnes comme un tableau de Picagritte. Je ne regrette pas de dire que la grille a la lettre prête, et que, dépassée par la rouille du […]