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La machine à penser, lâchée dans le vide, parcourait l’espace à la vitesse de treize mille années-lumière/seconde.
L’appareil psychique avait rechargé ses réservoirs sidéraux à la station orbitale du complexe préfrontal et le moteur avait repris un gazouillis régulier à peine perceptible, tant le manque d’atmosphère amortissait le moindre son.
Quelques pensées s’échappaient de l’habitacle par salves claires puis disparaissaient dans le vide, happées par quelques anti-pensées errantes attirées là par le mouvement.
A l’intérieur, par contre, l’ordre régnait. Toute nouvelle pensée produite flottait, puis, d’une antenne tactile, repérait les pensées les plus proches afin de joindre un crochet à l’extrémité de l’une d’entre elles pour dérouler le raisonnement. Bien que la vitesse extérieure soit sidérale, rien à l’intérieur ne manifestait une quelconque agitation. Le plus grand calme régnait. Une fois chaque nouvelle pensée rattachée à la plus proche, une autre nouvelle surgissait et venait agrandir le rang dans une logique sans faille. Chacune des idées alignées venait renforcer une logique, une hypothèse, une faculté, une aire en voie de développement.
Dans la zone de Broca, quelques phonèmes discursifs traînaient la savate pour éviter de se prononcer.
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Wernicke fronça les sourcils.
Si la pensée n’apparaissait pas dans le champ du langage, l’appareil ne pourrait pas entrer en communication avec les différents mondes rencontrés au cours de son voyage.
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Il saisit l’Amygdale et composa le numéro du système limbique.
C’est l’Hippocampe qui répondit :
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– Ici l’Hippocampe, quelle est votre demande ?
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– Ici Wernicke ! Je voudrais faire le point avec vous sur la Centrale Reptilienne pour savoir où en sont la mémoire et ses articulations. Il me semble que la zone de Broca recèle des phonèmes résistants à la prononciation qui risquent de faire foirer la communication. Vous en savez quelque chose ?
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L’Hippocampe se gratta la tête, puis, se raclant la gorge :
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– Le Corps Calleux ne m’a rien signalé Monsieur !
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– Faites une procédure de signalement quand même, Hippo, et mettez le Thalamus sur l’affaire, nous ne pouvons prendre aucun risque dysfonctionnel, compris !
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– Bien Monsieur !
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Wernicke raccrocha l’Amygdale en la reposant sur sa base et s’affala dans son fauteuil.
Depuis qu’il avait démarré cette mission, il avait le sentiment qu’un tas de registres lui échappaient, il devait rassembler les idées, les coordonner entre elles, ce qu’elles faisaient habituellement très bien toutes seules, sans qu’il ait besoin de s’en préoccuper.
Mais cette fois, il sentait bien qu’il ne pourrait s’appuyer sur l’ordre habituel.
C’était bien la première fois que les phonèmes refusaient de se prononcer. Le circuit frontal n’avait plus le même répondant. Depuis quelques temps, il avait remarqué un léger affaiblissement du ressort instinctuel.
Au fond, c’est sans doute une évolution des transmissions, mais il fallait s’assurer du fait qu’il n’y ait aucune dysfonction médiatrice de l’ensemble.
L’arrivée sur la géante rouge, dont on ignorait encore le nom, était prévue dans deux semaines. D’ici-là, la clarté et l’opérationnalité de la cohérence seraient à ajuster.
L’astellairissage devait se passer dans les meilleures conditions possibles. Il en allait de la réussite de la mission.
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L’Amygdale se mit à vibrer sur son bureau.
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– Wernicke à l’Amygdale !
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– Ici le Thalamus, Monsieur ! Nous avons identifié une carence arithmétique du lobe pariétal gauche, nous ignorons encore si cela a une incidence sur la zone de Broca mais nous tenions tout de même à vous le signaler !
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– A part un défaut de comptage, je ne vois pas ce que ça viendrait faire de plus ! Répondit pensivement Wernicke.
– Tiens ! Puisque je vous tiens ! Vous avez réussi à résorber la fuite des idées, Thalamus ?
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– Pour cela, il faudrait explorer les limbes, Monsieur !
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– Vous n’y êtes plus connecté, Thalamus ?
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– Vous en tenez une partie, Monsieur !
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– Merci de me le faire remarquer ! Répliqua vivement Wernicke.
– C’est mon côté archaïque, j’ai encore des difficultés à lâcher-prise !
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– Le faisceau pyramidal me demande de vous transmettre toutes ses félicitations Monsieur. En prendre conscience, précise-t-il, c’est déjà le début du changement.
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– Merci Thalamus !
– Bon ! D’ici demain, tâchez de rassembler toutes les idées, nous allons faire une conférence pour commencer à préparer l’arrivée.
– Avertissez-moi quand vous aurez besoin d’explorer l’Amygdale, que je puisse prévoir un autre réseau de communication.
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– Bien Monsieur, je n’y manquerai pas !
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Une heure plus tard, le Thalamus fit vibrer l’Amygdale pour avertir Wernicke de l’indisponibilité temporaire de celle-ci et un noyau lenticulaire lui livra un petit amas de substance blanche relais en cas d’urgence.
Un peu plus tard dans la soirée le rapport s’afficha sur l’écran Gyri orbitaire antérieur en ce termes :
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Voici le rapport trois points :
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1 : Notre réseau locus niger a identifié le nom de la planète rouge destination.
X1NYLILF75 qui se prononce XYLIL par convention.
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2 : Les échappements de pensées visent à adapter le langage, ils font partie intégrante de la procédure d’application à un nouveau système de langage.
Les anti-pensées inter-stellaires métabolisent la fonction phatique de Jakobson, celle qui permet de suivre.
Une manière comme une autre de s’assurer que la transmission passe bien.
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3 : Les résistants de la zone de Broca sont en stage de relaxation, raison pour laquelle dans l’immédiat aucun phonème participant ne songe à se prononcer.
C’est un processus inclus dans le code de l’archicortex de l’hippocampe, qui n’a pu vous délivrer cette information. Par contre, le lobe de l’insula est quasiment réglé comme un pendule de Foucault. Dès que la force gravitationnelle de la géante rouge se fait sentir, nous animerons son mécanisme pour mesurer le temps dans lequel elle évolue.
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4 : D’autre part, toutes les idées se tiennent à votre disposition pour la conférence de demain.
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Confraternellement
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L’Hypothalamus.
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Suite de ce premier épisode ici :
Bon jour,
J’adore ! 🙂 on est directement connecté à l’émission de ce vaisseau dont la chimie réactionnelle et fusionnelle est soumise directement au centre de commandement (une oligarchie ? ).
En fait, il nous faudrait une carte de cet univers dont les territoires ont des noms connus mais dont les alchimies restent à découvrir 🙂
Je retiens ce mot : L’astellairissage.
Merci à vous … en attendant la suite de cette aventure … 🙂
Max-Louis
C’est exactement cela, Max-Louis !
Une archie polie comme de l’eau de roche, un peu anar du côté Perse, un peu tirée par les cheveux du côté Zinzin de l’espace, et qui va aller se connecter directement à l’émission d’ondes alpha d’une géante rouge et nous laisser bouche bée. Pour l’instant, je n’en dis pas plus.
L’histoire dévoilera progressivement sur le web l’avancée des préparatifs d’accostage dont l’aboutissement fera avancer la science d’un bon de quatre vingt dix phrases et quelques sur l’échelle de Microsoft Word.
Merci à vous pour cette qualité de réaction fulgurante qui vous est propre et qui n’a pas son pareil pour ravir leurs destinataires.
Ben que le grand cric me croque si je me doutais que mes pensées en orbite communiquaient intra-cortex pour faire ou pas avancer le schmili-schmili-blick qui a parfois de nombreux ratés. J’ai été totalement scotchée par ce cours de science Strar Trekien qui m’a beaucoup plu. Remerciez l’auteur, je vous prie, (dès lors en course pour le Nobel) pour ces découvertes magistralement proactives sur le plan neuroleptique tout autant que neurotransmetteur. J’attends la suite avec l’impatience fébrile d’un neurone à la plage. Recevez, Madame, l’expression de mes sincères remerciements. La Fan A tiques.
Aaaaaaaahhhhhh ! Madame a de la finesse de reconnaissance en matière d’avancée dans la science brodmannienne. J’ai bien transmis à l’auteur votre magnifique éloge et j’ai pu observer une nette extension de la commissure du fornix à la réception de celle-ci. Comme vous le savez, cela manifeste chez elle une production intense d’endorphines qui la plonge dans un état d’extase pouvant durer de un à trois mois, le temps pour le Nobel d’atteindre le sommet sans trekkingner d’impatience et passer par l’Annapurna de votre grande bonté.
Veuillez recevoir, Madame Louvain, l’expression de sa profonde gratitude de deux cent mètres de fond.
La Fane de Carotte à Pois.
Je vous congratule à tour de rôle pour l’excellence de votre gratitude en plongée comme au sommet. Bien à vous. La Fane de radis.
[…] « Voyage inter-sidérant (Episode 1) […]
[…] à partir de l’instant présent. Croyez-le bien, ce n’est pas nouveau. . Episode 1 ici : . Episode 2 que vous pourrez lire pour de nombreux aujourd’huis encore ici. . Wernicke est […]
[…] . Premier épisode ici : Deuxième épisode ici […]
[…] Episode 1 ici . Episode 2 ici . Episode 3 ici . Episode 4 […]
trop bien ! et comme j’ai pris du retard, j’ai plein d’épisodes qui m’attendent 🙂
Il me semble que je serais tout pareil si je devais venir découvrir cette histoire rocambolesque avec des yeux neufs. .
Aussi amusante à imaginer qu’à lire et répondre aux commentaires.
Merci Carnets, quelle drôle d’idée m’a traversée ce jour là !
😀
mais tu peux la relire, veinarde !
(mais moi aussi, tiens, je peux la relire (veinard !)
Tiens, c’est vrai ! Je n’y avais pas pas pensé !!!
😉
J’aime beaucoup quand l’hippocampe se gratte la tête 🙂
Ouh ouh quel voyage !
Je file relire !
Oups ! Je viens de me rendre compte que je n’ai pas précisé de quelle main il se gratte la tête ! C’est à la main de la lettre. 🙂
J’ai relu
Et je me suis esclaffée là : « Dans la zone de Broca, quelques phonèmes discursifs traînaient la savate pour éviter de se prononcer. »
Je poursuis et je reviens (ou pas car tu pourrais m’accuser d’harcèlement….)
Effectivement, l’idée de harcèlement serait capable de venir ici te prononcer quelques phonèmes de son invention. Et je ne serais peut-être pas en capacité d’intervenir.
Nous serions obligées de nous liguer contre elle.
Il y aurait un soulèvement d’idées, un raz-de-marée, une vague déferlante, une inondation de pensées, bref, un arche de Cogito deviendrait vite indispensable.
Ouf ! Je crois bien que ta crainte vient de nous faire éviter la catasanction !
😉
[…] gens sérieux n’ont pas d’histoire, c’est du moins ce que l’on prétend. . Episode 1 ici . Episode 2 ici . Episode 3 ici . Episode 4 ici . Episode 5 ici . Mercredi 6 juin, le bruit […]