Ecrit pour l’agenda ironique qui règne en maître chez carnetsparesseux, ici.
C’est par le réverbère de la cité lacustre que l’on y entre.
Ne me demandez pas comment j’ai réussi à y entrer, je n’en ai gardé aucun souvenir. Tout ce dont je me souviens, c’est d’avoir, alors que mes yeux étaient plongés dans l’obscurité la plus totale depuis plusieurs mois, été éblouie violemment par sa lumière au point que mes yeux se sont mis à pleurer pour en apaiser le feu. Lorsque mes paupières se sont relevées, je l’ai vue, comme dans un rêve, onduler au rythme des ondes parcourant l’eau limpide sous laquelle elle se tenait cachée.
La première pensée qui m’est venue à l’esprit c’est : – Tiens, je suis morte !
Mon corps était si léger que je ne le sentais presque plus. C’est le presque qui m’a fait douter. J’ai commencé à vouloir bouger mais mon corps refusait de se mouvoir.
Alors la deuxième pensée est arrivée : – Qu’est-ce que c’est que ce b….., nom de D… !!!
Jurai-je intérieurement.
C’est de la lumière stupéfiante, à n’en pas croire mon cerveau. Je suis épinglée sous l’eau, incapable de bouger, c’est quoi ce cirque !!!
Ah, c’est vrai, j’oubliais de me présenter. Tout le monde me connaît ici, mais peut-être pas vous, qui venez d’arriver par ce chemin paresseux conduisant du courant de l’ironie à l’encre et de l’encre à l’histoire.
Mon prénom, Cyclopédie.
Mon âge, trop vieille pour le connaître.
Mon boulot, raconter des histoires fumeuses pour enfants assagis par le temps.
Mais sous l’eau, la fumée, cette fois, ça n’allait pas être coton…
Donc, à la suite de la deuxième idée qui fut de jurer comme un charretier, me vint la troisième qui me conseilla d’ouvrir grand mes yeux pour regarder.
Vu que je ne pouvais faire que cela, c’est ce que je fis.
Fi donc ! Voilà Onésime qui arrive.
Lui, c’est un escargot. Il me tend une antenne d’un œil globuleux que je ne pu saisir vu ma paralysie. Je réussis à peine à articuler un borborygme inaudible censé vouloir dire bonjour.
– Te casse pas la tête, Cyclopédie, qu’il me dit ! T’inquiète ! Je t’ai reconnue. Mais que veux-tu, il faut bien qu’on s’assure que tout se passe bien ici. Des drôles, on en a vu, nous on veut la paix, c’est tout.
Et de son œil terminal à l’antenne gauche, il me dégoupille un jet d’encre sur les deux yeux en me disant : – Suis-moi !
Je retrouve l’usage de mes jambes, ce qui me permet d’avancer un pied, puis un autre. Tout va bien. Une quatrième pensée m’arrive direct plutôt côté sourde oreille, genre, je fais comme si je n’y avais même pas pensé. Onésime avance tranquillement, semblant glisser sans effort d’une avenue à une autre, sans se presser. Là, il se tourne vers moi avec son plus grand sourire. Oui, un escargot, ça sourit. Pour ceux qui ne l’auraient jamais vu et seraient tentés de ne pas y croire…
Nous venons d’arriver devant le palais lacustre. Je l’entend de l’intérieur s’adresser à moi en ces termes :
– Pour la quatrième pensée, te bile pas Cyclopédie, c’est comme si on y était. On n’a pas besoin de parler, ici. On s’entend bien, c’est tout !
Le palais est un peu envahi par la végétation, tout semble désert mais je sens des présences partout. Comme un fond de rumeur à peine perceptible. C’est la cinquième pensée qui m’alerte :
– Où sommes nous ?
Le pied d’Onésime pousse la porte qui, d’entrouverte, s’ouvre complètement.
– Regarde !
Entre deux colonnes, un nuage en forme de colombe s’envole en froufroutant des ailes pour venir se poser sur la coquille d’Onésime.
Là, je comprends que je suis dans une histoire. Rien n’est cohérent, réel, ce sera ma sixième pensée. Elle sera noire corbeau, si sombre que je retomberai dans un sommeil obscur et profond comme un puits.
A l’intérieur de mon rêve Onésime se penche sur moi, évanouie.
– Cyclopédie, rappelle-toi la quatrième pensée.
Je réfléchis. C’était laquelle déjà ?
Ah oui ! Ce que l’on ne connaît pas fait peur…
Voilà, c’est bizarre, étrange, déconcertant, et cela m’amènera à la septième pensée qui se formulera ainsi dans mon esprit.
– Entrer par le réverbère de la cité lacustre pour y recueillir sept pensées essentielles à la vie, c’est comme savoir regarder la mesure de son être au monde, autant dire, il faut savoir prendre son temps pour réussir le pari le plus fou que chaque être vivant rêve de vivre. La rencontre de l’inconnu, la part manquante.
hé bien voilà, une cité lacustre avec Onésime et Cyclopédie comme guides, que demander de mieux ? par ou on entre ? Par le réverbère, bien sûr !
merci Jobougon de nous rappeler à l’évidence qu’on oublie toujours trop vite 🙂
Kicéki les allume, d’ailleurs, ces réverbères ?
Fô dire que les yeux qu’ont pas vu la lumière depuis longtemps, y sont sensibles, nondédiou !
Remarque bien, carnet, que c’est sans doute le principe.
Yapakeléchoks thermiques dans la vie !!! Pfff !
Merci Carnet pour tes incomparables commentaires.
🙂
Un rêve éveillée de vous lire: cet escargot d’Onésime au palais de la petite sirène ! Et cette adorable Cyclopédie immuable telle la reine Élisabeth pour chaperonner le tout !
The Jo must go on.
Cyclopédie te remercie pour cette signature si parlante.
En reine à la couronne de papier, elle s’Elisabête du mieux qu’elle peux, mais en vrai c’est toujours l’Onésime qui gagne la course à la couronne. Il la transporte sur son dos en permanence, on peut donc dire qu’il a une royauté d’avance le bougre.
J’adore Onésime en escargot ! Fait son chemin LaKokille dans les méandres des rêves Cyclopédiques ! il est malin Onésime, il emporte sa maison il est partout chez lui ! Mais attention à ne pas écrire les 7 pensées sur des feuilles de choux, serait capable de les dévorer 😉
Merci Jo c’est savoureux !
Oooooohhhh merci gibulène, savourer la ligne engloutie, sur une feuille de choux, j’ai envie de dire que grâce à toi Cyclopédie se précautionnera de penser cette fois sur les veines pour ne pas qu’elles se fassent dévorer par l’Ogrésime…
Des bisatoi. 😉😘
J’ai aimé suivre Cyclopédie guidée par la bave d’Onésime. Quant à l’allumeur de réverbères il paraît qu’on le trouve sur l’astéroïde B 612 mais chutt! c’est un secret 🙂
L’astéroïde du Petit Prince est un des plus grands trésors secrets que l’humanité ait jamais accosté. Que l’allumage des réverbères figure en primaire, en secondaire et en tertiaire et le monde change de visage ! Merci Photonanie pour avoir suivi d’aussi près que possible Cyclopédie, elle-même suivant l’immense Onésime dans son sillage, voilà !!!
Ainsi vont les lumières, sans bruits, mais pas sans effets.
j’aime l’idée de l’histoire dans l’histoire et cette fluidité dans l’écriture qui rend le conte absurde réaliste et offre une chute pleine de sagesse.
Bien joué Jo ! 🙂
Une chute sur le séant, séance tenante, me propose l’écriture du commentaire que voici. Qu’importe la hauteur pourvu qu’on ait le trempoline. Même si ce n’est que le coussin qui remplit la fonction douce de la sagesse.
Merci d’avoir bifurqué du côté lucide de l’histoire. 🙂☺️😊
Bon jour Jo,
Cela me fait grande joie de vous lire 🙂
Diantre, la Cyclopédie dans un milieu qui glougloute, au fond, c’est aussi se retrouver à l’origine de soi ce qui est en soi nous tisse tous vers (et pas le ver en soie) à l’essentiel de ce que l’on est avec les questionnements qui nous habillent d’ici à là et même au delà sans que nous prenions vraiment acte des réponses …
Je suis allé y voir sur le lien du titre : « La part du manque »… le résumé refroidit comme hiver en polaire (s’il reste encore un hiver polaire) … mais bon, comme je considère que la vie est une farce … je ne vais pas lire ce livre pour dire qu’il me dise que mon bilan de vie est au bord du désastre …
Jo, je te vous souhaite une Bonne Année 🙂
Max-Louis Tout en Un
Bah, Max-Louis, un bord de désastre habillé chaudement de polaire est un bord farci de belles lettres. Ça réchauffe le cœur en pleine bise recyclable et reconditionnable. C’est dans le vent du temps, avec toute l’absurdie créative possible. Je propose, pour commencer, d’apprendre le tissage de l’eau, d’en faire des ouvrages expérimentaux, des manteaux polaires hivernaux, des rats mutants, des castors géants, du papier toilette, des raviolis,
Euh, je crois que c’est ma liste des courses.
Tout en un ne manque de rien, voilà bien de quoi éveiller la curiosité la plus ténue, bien que l’essentiel soit plutôt du côté invisible de la question.
Excellente année à toi aussi M.L.T.E.U.
Ravie que la Cyclopédie glougloutante t’ai amené jusqu’ici. 🌞☺️😊
Je n’oserai plus aller à la chasse aux escargots, maintenant ! Comment se débarrasser de quelque chose qui sourit et est capable de vous rendre le mouvement d’un jet d’encre oculaire ! En ce moment mon jardin est assez proche d’une cité lacustre, ne manque que le lampadaire pour y inviter Cyclopédie. 🙂
D’accord pour le lampadaire dans ton jardin Frog, et Cyclopédie arrivera donc par le jet encré de la ligne du canal lacrymal postal gastéropodo-amphibien.
Entre nous, je suis ravie de voir que dorénavant, les confrères d’Onésime vont pouvoir vivre en paix dans ton jardin.
^^
Merci pour ce voyage onirique, enjoué et sage. Le réverbère comme entrée dans l’autre monde, l’escargot comme guide, cela rappelle Alice au pays des merveilles, l’arbre et le lapin.
La part manquante fait partie aussi de mes pensées essentielles à la vie 🙂
Merci à toi aussi Joséphine pour l’évocation de l’Aliçade, dont les merveilles n’ont pas fini d’enchanter et d’étonner tous ceux qui sauront en découvrir la splendeur. L’essentiel étant d’en extraire la saveur. Suivons le guide de l’intuition et du présent.
[…] qui a changé ma vie ; Max-Louis Iotop, une belle lumière codée ; soleil du matin ; Jobougon, englouti sous les eaux ; Laurence Delis, métamorphose ; Nervures et entrailles, les lettres d’Onésime et […]
Merci Jo de ce conte tout en profondeur, un escape-game en écriture, une essence de sagesse où ta plume a trempé
L’essence de sagesse a une fragrance subtile, onésimée à l’encre sympathique, et dont les effluves portent aussi loin que l’infini, merci Vérojardine d’avoir trempé la tienne en miroir. 🙂
Merci Jo, une effluve infinie c’est un bon bain de jouvence où mon quotidien aime à barboter aussi, comme on met le nez dans un bouquet de lilas
[…] entourloupe de l’algorithme, un emballement numérique ! Et puis les textes : ce mois ci, l’Englouti sous les eaux, de Jobougon, triomphe, devant la Recontre d’Onésime et Ana (Photonanie), puis, […]
The Jo is back !
Ravie de cette victoire si essentielle à Onésine et la petite sirène (si, si, je vous assure: on nage en plein réel là).
« Pour s’éprendre d’une femme, il faut qu’il y ait en elle un désert, une absence, quelque chose qui appelle la tourmente, la jouissance. Une zone de vie non entamée dans sa vie, une terre non brûlée, ignorée d’elle-même comme de vous. Perceptible pourtant, immédiatement perceptible. »
Bien chère Lyssamara, j’ai comme une queue de poisson qui frétille dans mon cortex préfrontal à la lecture de tes quelques lignes, mettant par là même en route la sirène du port d’Alexandrie. Oh la la !!! 😉
Ben dîtes donc, vous en avez mis du temps, même Onésime va devenir plus rapide 🙂!
Lui, si cette fois-ci, il n’arrive pas à bon port, je r’tue Cloclo.
Bon en vrai, ravie de votre frétillement !
En faux, sinon, on lui envoie quoi à Cloclo cette fois-ci ?
Je veux dire, on le tient au courant comment ?
Epi si Onésime me double, c’est qu’il a mis un tigre dans son moteur, je ne vois que cette explication. Vu que moi j’ai un turbot, c’est pour ça que ça frétille !!!
Tiens, voici une découverte turbothèquée… : 😉
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Turbot
Ravie de votre ton ravissement.