Le printemps des poètes, c’est du 9 au 25 mars 2019
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Ce matin en sortant de ma douche, je me suis arrêtée devant la penderie pour choisir une tenue adaptée à la saison.
Lorsque j’ai voulu prendre le petit pull gris que j’affectionne tout particulièrement, la manche du blouson en jean m’a attrapé le bras. J’ai senti le tissu rugueux retenir mon geste, et croyant tout d’abord à un hasardeux accrochage, (ma penderie est pleine comme un œuf), j’ai écarté vivement la manche et replongé mon bras vers l’étoffe repérée précédemment. Quelle ne fut pas ma surprise de voir toutes les manches des vestes se placer en travers de mon chemin et d’entendre soudain :
– Non, pas question de sortir prendre l’air aujourd’hui.
Les vêtements avaient l’air très sérieux.
Je me suis placée devant la porte grande ouverte, campée sur mes deux pieds, et leur ai demandé.
– Qu’est-ce qui vous arrive ?
Le premier cintre s’ouvrit d’un grand sourire et, montrant du crochet le calendrier mural, me répondit.
– Les vêtements ont droit à leur premier mai, ne compte pas sur eux !
– Mais… Mais… !!! Nous ne sommes pas le premier Mai !
– Et alors ? Un premier Mai le 10 Mars, qu’est-ce que ça peut faire ? Nous, on ne bouge pas, c’est compris ?
Devant le ton péremptoire des vêtements, prise au dépourvu, je n’ai trouvé qu’à bafouiller platement :
– Mais enfin, qu’est-ce que je vais mettre, moi ?
Le petit pull gris ouvrit alors largement son encolure pour prononcer ces quelques mots.
– Et bien, tu n’as qu’à t’habiller de poésie !
Stupéfaite, j’ai entendu le peignoir de bain ricaner, et la combinaison de ski s’est rencognée dans le fond de la penderie d’un coup de zip pincé.
J’ai voulu tirer sur le petit pull gris mais il avait disparu sous un monticule de lainages colorés.
La même petite voix que tout à l’heure, amortie sous les étoffes, rajouta alors.
– Puisque c’est le printemps des poètes, nous, on va se reposer les fibres, pendant que toi, tu iras chercher de quoi t’habiller dans l’art poétique.
Plusieurs voix surenchérirent.
– Notre premier mai à nous, ce sera cette année du 9 au 25 mars, et ce 20ème printemps tournera autour de la beauté, alors, c’est plutôt chouette, non ? Nous t’avons fait grâce du 9, tu devrais nous en être reconnaissante.
Désemparée, j’ai acquiescé, puis me suis mise à réfléchir.
S’habiller de poésie sur le thème de la beauté, ça n’allait pas être coton, mais alors pas coton du tout ! Enfin, je n’allais tout de même pas sortir en peignoir de bain.
Alors j’ai pris un crayon, du papier, et me suis installée à mon bureau.
Ensuite, j’ai commencé à écrire.
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Pour m’habiller de poésie,
J’ai tissé du verbe et du bruit,
Et les oiseaux sont arrivés,
Chargés de plumes ramassées,
Et les abeilles ont déposé,
Du miel d’or, des fleurs d’été,
Et la lumière s’est irisée,
Autour de la trame de papier,
Et soudain une robe arc-en-ciel,
Déplia deux superbes ailes,
Pour se glisser autour de moi,
Dans un lent mouvement de dentelles,
J’ai vu un bas de pyjama,
Glisser doucement sous les doigts,
Des gants de peau doublés de soie,
Et se plier sur un dossier,
Pour s’endormir les poings fermés,
Un escarpin couleur soleil,
Prit la mesure de mes orteils,
Puis d’un talon preste et léger,
Claqua son pas de menuet,
Pour dire à l’autre d’arriver.
A que d’atours, me dit le jour !
Seriez-vous la muse de l’amour,
Que la nature vous vêtisse,
Presque aussi bien qu’une pelisse ?
Une brise légère et passagère,
Couvrit mes épaules d’un ton fier.
Que dis-tu donc, jour des poètes ?
Mais où as-tu donc mis ta tête ?
La beauté n’est rien à côté,
De la plus profonde des bontés !
Et de l’amour, qu’en sait le jour ?
Le cœur de la nuit est serré,
Devant la splendeur des étoiles,
Mais le cœur de la nuit dévoile,
La beauté bien mieux que la moelle,
Des os qui furent sous la pelisse,
Du temps de l’animal en vie.
Ainsi le jour de poésie,
Habillé des bruits et du verbe,
Redressa là toute sa superbe,
Et lança une rime à la pluie,
Pour qu’elle arrose le vert de gris.
La bonté qui passait par là,
Devant la couleur en émoi,
Décida que le vert serait,
De l’arc-en-ciel le mieux paré.
L’amour alors prit son envol,
De son arc et d’une parabole,
Enveloppa toute la beauté.
Ainsi de sa lumière nimbée,
Le jour en fut tout rhabillé.
C’était un dimanche enchanté.
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Mais je n’étais toujours pas habillée. Enfin, c’était étrange, je l’étais mais je ne l’étais pas. Alors j’ai attrapé un rayon de lumière sur lequel j’ai tiré, puis me suis vêtue d’un morceau de ciel bleu où naviguait un petit nuage tout blanc.
Mes charentaises en peau de mouton acceptèrent de me chausser à condition que je leur retire les talons aiguille inconfortables qui leurs piquaient la fourrure.
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Le lendemain était un lundi. Le placard resta fermé à toute sollicitation, les portes coulissantes bien bloquées, ramassées sur elles-mêmes. On les aurait crues presque comme prêtes à bondir.
J’ai un peu essayé d’insister pour les ouvrir, sans succès, et repensant à la rébellion de la veille, je manquai de courage pour affronter à nouveau toutes les manches des vêtements.
Je me suis dit : Il faut trouver un autre poème habillé.
Cette fois, la rime se refusa à moi. J’essayai la prose. Pas mieux.
Je me suis souvenue qu’il y avait un grand sac à grains en jute au grenier, vestige du temps où toute notre famille se réunissait pour participer au prix inter-poulaillers.
En taillant trois ouvertures pour laisser passer la tête et les bras, j’ai réussi à bricoler une tenue rudimentaire.
En matière de poésie, cette fois, ça faisait plutôt beauté rupestre.
Je préférais ma robe arc-en-ciel mais elle avait décidé, elle aussi, de résister en restant clouée sur le calendrier des effets de fées. Et puis, tout bien réfléchi, un nuage, même entouré de ciel bleu, c’est tout de même un peu humide.
Voilà !
Je me disais :
Et vous,
Si vous deviez vous habiller de poésie,
Vous le feriez comment ?
Géraldine écrit :
Le verbe plisser croisait ses deux s autour du chant des pinsons pendant que celui de vêtir enveloppait le doux bourdonnement des abeilles.
Durant un court instant, les vibrations de toutes leurs petites ailes ont recouvert ma peau d’une caresse légère et subtile, mais transparente. Dommage, c’était bon de se sentir enveloppée de ces minuscules battements translucides.
Alexandra écrit :
Lorsque j’ai saisi le casse-noix à pleines mains, j’ai senti la douceur de son bois chauffer mon corps entier et l’envelopper de cette vibration toute irradiante. Comment décrire un tel délice sinon en inventant une image. Je crois que c’est comparable à être dans l’œil du typhon, ou encore baigner dans un scaphandre à l’intérieur duquel circuleraient des milliers de bulles éthérées.
Adelune écrit :
Comment d’une fanfreluche à étamine j’ai revêtu une parure de myriades de lucioles, comment ces petites bestioles ont déposé sur ma peau leurs petites pattes grenues et comment ces petits corps serrés ont su faire de leur tapis dru la plus belle étoffe que l’humain ait jamais eu la joie de porter.
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C’est à Vous.
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Lorsque j’ai saisi le casse-noix à pleines mains, j’ai senti la douceur de son bois chauffer mon corps entier et l’envelopper de cette vibration toute irradiante. Comment décrire un tel délice sinon en inventant une image. Je crois que c’est comparable à être dans l’œil du typhon, ou encore baigner dans un scaphandre à l’intérieur duquel circuleraient des milliers de bulles éthérées.
Comment d’une fanfreluche à étamine j’ai revêtu une parure de myriades de lucioles, comment ces petites bestioles ont déposé sur ma peau leurs petites pattes grenues et comment ces petits corps serrés ont su faire de leur tapis dru la plus belle étoffe que l’humain ait jamais eu la joie de porter.
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C’est à Vous.
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Magnifique fantaisie, ton habit de poésie réchauffe l’âme et pare le coeur de mille joies discrètes comme les perles tièdes d’une pluie de printemps.
Ton magnifique habit de poésie nous est la tiédeur du printemps sur la peau encore froide de l’hiver
Bonjour André,
Je viens de repêcher par hasard tes deux commentaires dans les indésirables de wordpress, c’est un cafouillis de première !
Merci pour tes appréciations poétiques et aériennes.
Est-il possible que cette grâce élégante fasse l’apesanteur des mots au point qu’ils n’arrivent pas à destination ?
Je te répondrai là demain https://patchcath.wordpress.com/2019/03/11/jaimerais-mhabiller-de-poesie/
Une petite merveille, merci Patchcath.
[…] répondre à Jobougon et au printemps des poètes du 9 au 25 mars avec la Beauté pour […]
Un texte fabuleux , merci Jo 😉
Je m’habillerai de poésie un autre jour ….
Faut que j’aille au boulot 😦
S’habiller de fabuleux, voilà qui me donne encore une idée à écrire.
Merci Val, et bon boulot.
Déçu de ne pas voir apparaître mon commentaire, j’ai réitéré: en vain.
Je ne crois pas que ce soient les mots, pour légers qu’ils fussent, qui m’envoient au diable, mais plutôt l’absence d’un seul, dans l’adresse de mon blog: « wordpress » n’y apparaît pas … voilà où mène le culte présomptueux de son propre nom …
L’envoi au diable fut réparé vigoureusement par un envoi opposé de ma part, et l’absence du culte ira cultiver l’art de la lucidité d’une bouteille à la mer.
Dorénavant, tes commentaires arriveront à bon port.
Nous savons donc désormais où s’en vont les bouteilles que l’on lance à la mer … Merci Jo pas si bougon que ça 🙂
Bon jour,
« J’aimerais m’habiller de poésie comme on se vêt d’un habit du dimanche ». Cependant, au regard de mon anatomie d’Apollon (et je suis modeste), « je ne suis qu’un homme, rien qu’un homme » et cet humble souhait émanant d’une femme, je crains ne posséder les attributs pour une telle demande car je n’ose penser que la Poésie, cette féminine entre le bleu amour et le rouge passion se laisse posséder par mes quelques mots et mon écriture du dimanche …
Et pourtant quand j’ouvre mon armoire
Aux mots dont les étagères font dortoirs
Pas un seul pour m’habiller ou me culotter
C’est dire que l’effet du mot à comploter
Est à deux doigts de me laisser choir
Sur le devant de la scène au saloir
De ma déception et Poésie
Qui se marre sur son lit
A demi nue
Dans ma rue
Elle rit
Oui
Elle dit
Toute posée
Vas y croiser
Ta bande de lignes d’épis
A cloche mots en ton défi
Que j’entreprends de la posséder
Là au bord du banc blanc elle a cédé
Retroussée jusque là tous onomatopées
Dehors le phrasé déviant en tout syncopé
Ma plume comme un étendard va d’un bout
A l’autre habiller de couleurs une poétique belle proue …
Et donc pour en revenir à votre œuvre, un texte qui ne manque pas de teintures et au prix inter-poulaillers tout un programme. Vous êtes exceptionnelle … vous le savez 🙂 Et que dire d’autres ? Ce personnage tenu en échec par ses habits, me rappelle aussi l’auteur fabuleux Buzzati qui d’un réalisme plonge dans le surréalisme et moi, j’adore, surtout quand la plume de l’autrice a ce don de nous intégrer dans le tissu même de son histoire …
Un admirateur discret sur le flan de la page … 🙂
Max-Louis
Ce soir, la poésie remballera ses outils.
Ce soir la vie,
Ce soir la vie se fait lourde,
Et toute la lumière et sa poudre deviennent sourdes,
Vanité des creux,
Amertumes des vagues,
Ce soir la nausée est de mise,
Et les flancs de mon âme,
Heurtés de bien des drames,
Iront pleurer bien loin,
Des regards de demain.
Ce soir c’est le chagrin,
Qui occupe mon chemin.
Si je pouvais veiller sur vous,
De loin reste les mots muets
Et pourtant en ce silence loup
Je rentre les épaules, désuet
Et frileusement, je pense à vous …
Merci M-L
Le K n’est donc pas qu’un recueil de nouvelles. C’est un livre qui apprend au lecteur l’art difficile de déchiffrer le vaste et incompréhensible journal du monde. Le fantastique est un instrument d’optique qui corrige notre myopie. Et l’humour évite, tout simplement, que le drame de l’existence tourne à la tragédie.
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Les histoires que l’on écrira, les tableaux que l’on peindra, les musiques que l’on composera, les choses stupides, folles, incompréhensibles et inutiles dont tu parles seront pourtant toujours la pointe extrême de l’homme, son authentique étendard.
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https://www.babelio.com/livres/Buzzati-Le-K/10782
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https://imgv2-2-f.scribdassets.com/img/document/241020574/original/d0f73b80b3/1550574792?v=1