– Dessine moi un visage, mouton. Celui du temps.
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– Je passe, petit prince. Lamartine dit de moi que je n’ai point de rive. Peut-être faut-il élargir le champ de mon action pour imaginer sortir de mes flots. Tantôt de sable et tantôt eau, ma substance est indéfinissable. S’il en existe une seule au monde qui échappe à mon pouvoir, c’est peut-être le vide de l’espace sidéral, et encore…
Pas de matière, pas de temps !
C’est encore un regard d’Homme. Car le vide, les astrophysiciens l’explorent, ne serait peut-être pas si vide qu’il voudrait bien nous le faire croire.
En attendant je passe, et vu de la petite lorgnette des êtres humains, je file entre les doigts de l’impossible arrêt, garant d’une sphère où la vie peut se réaliser.
Indivisible et pourtant divisé, c’est vous qui me scandez.
Vous qui êtes entrés dans mon courant pour faire l’expérience de l’insaisissable instant présent infini.
A l’intérieur de mon action tout est en mouvement. Vous pouvez essayer de me ralentir sans grand succès. Seule, la perception que vous avez de moi pourra varier.
Dans l’expansion de l’univers rien ne m’échappe. D’autres lointaines planètes abritent sans doute des êtres régis par mes lois. L’intervalle de temps spatial que la preuve de leur existence arrive à nous est si long qu’ils seront déjà morts lorsque nous la recevrons.
Remarquez combien il est difficile de se détacher de moi pour en dire quelque chose. Aussitôt que possible la pensée revient se placer de votre point de vue, c’est alors vous qui reprenez la parole.
C’est d’ailleurs vous qui m’avez inventé.
Sans votre existence d’êtres humains dotés du langage par l’intermédiaire de la pensée, existerais-je ?
Pourtant, bien avant vous j’existais déjà.
Et j’existerai encore bien après vous.
Serais-je alors la seule création à échapper au phénomène d’impermanence ?
Peut-être.
Peut-être pas.
Je trimballe d’une incarnation à l’autre mon mystère chargé d’ignorance et de paradoxes.
Au fond, c’est peut-être moi, Dieu ? Ce Grand Autre tout puissant qui anime la matière au gré de ses inventions, histoire de s’auto-découvrir à l’infini. Je me rendrais fou moi-même si je n’avais découvert les incroyables facettes de mon existence. Choisissez un de mes visages et aussitôt je disparais tant il y en a d’autres qui apparaissent.
Je suis l’indescriptible.
J’ai le visage de mes manifestations.
Je suis la vie, je suis la mort, je suis la pierre taillée, le vent qui souffle dessus, le temps qu’il fait. La peau ridée, la peinture écaillée, l’édifice écroulé, la résignation des perdants, l’acceptation des sages, l’adaptation des gènes, l’évolution des espèces, la couche de neige et le soleil brillant.
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– Es-tu aussi l’amour ? Demanda le petit prince. L’énigmatique rose mortelle et immortelle ?
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– C’est peut-être elle qui m’a fait naître, petit prince.
Répondit, songeur, le temps.
– Ou bien l’inverse, va savoir…
La rose immortelle de l’amour dépasse mon domaine de compétence. Elle a créé l’île où l’on ne meurt jamais. Car en plus d’avoir l’étendue illimitée de mon domaine, elle a cette chose en plus qui s’appelle un cœur.
Un cœur qui anime l’âme de ceux qui aiment, infiniment…
Et qui la rend immortelle.
Mais c’est moi qui lui apporte la lumière.
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Autoportrait au sablier
24 février 2023 par jobougon
Être ou ne pas être………. voilà un billet que j’adore avec toute sa métaphysique sur fond de Petit Prince, mon livre de chevet ! Merci Jo ! l’impermanence n’est décidément pas un rêve !
Elle a bien de la chance, ta table de chevet, d’être le support du Petit Prince ! Je suis sûre que du haut de ses quatre pattes de chevet, lorsqu’il n’y a plus personne pour la voir faire, elle feuillette le livre en rêvant d’aller un jour sur l’astéroïde B612 rendre visite au mouton, à la rose et au petit prince.
Merci gibulène, merci d’être. ❤️🙂🙂
Sur la route des origines, vous lire est une respiration. 🙂
Et sur la route de la soie, lyssamara, vous tissez des nuages d’étoiles d’artiste littéraire qui laisse ébloui !
Bon jour Jo,
Diantre ! Le temps n’a pas son pareil pour faire attendre… en fait, n’étant pas très présent sur ce support, je me régale de vous lire en ce sablier qui propose de son existence de Temps par toutes les formes qu’il peut prendre dans les conditions qu’on lui fait vivre… quoi qu’il en soit le Temps à du vide à revendre même au sablier qui n’est qu’un représentant de ce qu’il représente car entre les atomes le tout vide n’a que le temps d’exister pour un plein temps pour se faire connaître avant de disparaître et renaître tout aussitôt par la magie de ce qu’il est ou pas en fonction de l’importance qu’on lui donne… tout est une question de vue sur écliptique de la raison que le Temps lui ne sait pas se satisfaire même s’il avait devant (ou derrière) lui … l’éternité…
En tout cas, je reste cet admirateur discret tout autant (ou tout au temps) … 🙂
Max-Louis
Bonjour M-L-Max-Louis,
L’écliptique de cerveau que j’ai attrapée à la lecture de votre commentair’ m’a fait voir mille temps empilés sur le feuilleté de ses représentations, sans jamais réussir à en approcher ne serait-ce qu’une once de réalité, et ne satisfaisant de son dessert aucune saveur de satisfaction du fait de la fuite en avant perpétuelle et intrinsèque de sa Nature.
Inutile donc de chercher à l’attendre au cas où on le dépasserait, ou à le rattraper pour peu qu’on le laisse nous distancer. Quant à s’y ajuster, j’ai bien peur que l’étendue de son influence soit si inéchappable que seules les impressions de retard ou d’avance relèvent de nos sens et non de son essence.
La question d’y inclure le vide et le plein, t-u as raison, n’est même pas une véritable question. La magie, j’ai envie de dire, est celle de le faire passer le plus pleinement possible, dusse-t-il être plein de la vacuité d’être. Car c’est bien là un de ses paradoxes. Est-il davantage plein dans la plénitude des vides ou dans le remplissage avec des petits riens de quotidien banal, échappant encore à la métaphore de l’atomiquement possible ?
L’importance qu’on lui accorde, comme vous le dîtes si bien, fait sans doute une différence.
Au temps votre légendaire discrétion ne se fait pas remarquer.
En ce lieu je ne saurais l’affirmer.
Mes amitiés dominicaines, cher correspondant d’écriture, bien à la reconnaissance de la belle subtilité que la vôtre nous offre en son plein de charme.
Il me semble que vous avez édité récemment ce bel os dont je transmets ici le lien :
C’est toujours bien de faire des ponts.
https://ledessousdesmots.wordpress.com/2023/02/25/lerrance-qui-ronge-son-os/
bonsoir et merci pour cette belle publication. j’ai également sur mon site des correspondances avec le petit prince mais je ne sais pas si st Exupéry l’a lu…:)
Bonsoir Marguerite,
Vous saurez que St Exupéry a lu vos écrits lorsqu’il viendra toquer à votre porte. j’ai constaté que votre site est réservé à ceux qui en demandent l’autorisation en allant voir à quelles correspondances vous faisiez référence dans votre commentaire ici présent.
Merci pour votre appréciation.
vous êtes le bienvenu dans mon jardin :)merci
Emouvante conversation avec le petit Prince, j’apprécie.
Merci isabellemariedangele, il s’agissait de demander au temps de parler de lui-même, et le petit prince se prêtait bien à l’exercice alors… ils se sont parlé !
Dessine-moi un temps comme tu veux, le temps.