Dans la caste des vertus, il existe un sous-langage qui grimpe autour de l’arbre du texte et s’enroule à la manière du lierre autour de son tronc. Jean-Baptiste Poquelin l’avait découvert en fréquentant l’école des femmes savantes, par la plus grande des coïncidences, ayant eu la chance d’enrouler un texte parcheminé autour du sien.
Ce qui ne fût pas sans conséquences.
L’ensemble de la fameuse spirale risquait parfois la tornade.
Heureusement, chaque souffle rendait l’accroche du texte enroulé chaque fois plus solide.
Ainsi, l’arbre mot offrait, chevelure aux vents, toute une panoplie langagière à qui voulait bien l’accueillir.
Cyclopédie, qui parcourait le territoire tribal de la réserve naturelle des vertus, arrivée au cœur d’une forêt dense et obscure, découvrit l’arbre phénomène et, voyant toutes les branches ployer sous le poids en fit un bouquet.
Ainsi, ajustés par l’harmonie qui en émanait, les branchages disposés dans un vase trônèrent bientôt sur la table du salon.
Or, il advint qu’un jour, plus soporifique qu’un autre, un besoin de sieste l’allongea sur le canapé jouxtant la fameuse table. Dans sa somnolence, les yeux mi-clos, elle décela le phénomène en observant ses ajustements se transformer sous son demi-regard.
La touffeur alphabétique ne cessait de moduler en constant remaniement chaque pétale syllabique, remodelant à l’infini l’écart de tous les possibles. De nouveaux départs de spirales prenaient des directions simultanées, dans le contraste le plus singulier qui soit.
Cyclopédie s’endormit sur cette vision en mouvement, l’emportant ainsi dans ses rêves.
Dans le premier, elle arrivait devant un portail fermé, et admirait l’élégance du domaine.
Au fond la bâtisse était recouverte de lierre. Quelques feuilles caressées par le vent bougeaient doucement. Un léger son bruissant écrivait son concert invisible dans l’air tiède du printemps. Cyclopédie pouvait suivre le mouvement de l’instrument à vent dans le déroulé de sa nuance sonore. Elle était charmée.
Dans le second, la porte s’ouvrit, comme par magie, et elle entra, se sentant invitée à le faire.
Il y avait un jacuzzi à l’intérieur duquel glougloutait une eau vive et claire.
Sur les bulles rebondissait parfois une grenouille, qui disparaissait ensuite dans les longues herbes en bordure. On aurait dit comme un jeu batracique animé par on ne sait quelle règle, rythmé par la cadence régulière du chant de l’eau.
Dans le troisième, le tintement d’une cloche l’attira vers l’arrière du bâtiment.
Elle y découvrit une chapelle, revêtue d’une grâce infinie. La fraîcheur de l’intérieur contrastait avec celle de la douceur printanière du jardin. Aussi, elle ne s’y attarda pas très longtemps. Dehors, s’élevait maintenant une construction de branchages emmêlés dont la verdure épaisse tapissait les parois.
Tiens, se dit Cyclopédie, ce doit être construit par des enfants, joli refuge !
En se penchant pour regarder à l’intérieur, elle découvrit un espace beaucoup plus étendu qu’elle ne l’avait imaginé, laissant entrevoir d’autres extensions existantes dans la multitude labyrinthique dont elle pouvait, d’ici, en deviner partiellement l’ampleur.
Dans le quatrième, une grotte lumineuse tapissée de sable chaud et ouverte sur la mer ensoleillée lui permit de se reposer. Le flux et le reflux de l’océan venaient lécher la bordure sablonneuse d’un doux balancement régulier.
Enfin, le cinquième rêve, réajustant ses lettres de noblesse, lui déroula son parchemin. Elle le suivit, gravissant doucement chaque étape sans essoufflement, parvenant à la cime pour se rendre compte que chaque cime la faisait revenir à la base.
Allons, se dit-elle.
Si je m’éveillais, reposée de ma sieste, je pourrais relire mon bouquet avec le regard éclairé de ma reprise de vitalité.
Sortant du sommeil réparateur, Cyclopédie, les yeux grands ouverts cette fois, pu observer à loisir le bouquet de mots lierre avec la joie ineffable de sa découverte.
Quel bonheur se dit-elle alors.
J’apprends de cet enroulement toute la plénitude de la substance du langage.
Pour sûr, c’est un cadeau de Dieu !
Le langage est une substance,
Il enroule et déroule,
Il parcourt et devance,
Il entremêle de toute sa foule.
Le langage est une danse,
Il noue dans ses cheveux,
La grâce ou bien l’aisance,
Le contour de ses yeux.
Mais le langage n’a pas,
Le rayon de la joie,
mais le langage n’a pas,
La douceur de nos voix.
Un sommeil en forme de méditation profonde ! Cyclopédie apprend les chemins d’autres dimensions !
Toujours en admiration par ce pouvoir que tu as de raconter l’invraisemblable en le rendant crédible et avec tellement de justesse et de poésie dans les mots ! Bon dimanche Jo
Un chemin d’étonnants puits, sans pluie d’un doute, venant d’un sommeil en forme de tapis foulard, le tout saupoudré d’un peu de cristal d’arches.
Voilà bien de quoi poétiser verbueusement sans accaparer le dimanche d’une dimension vraisemblablement admirable, merci gibulène et de cette réflexion m’en vient une autre : De quelles dimensions es-tu le fruit ? 😉
Excellent samedi couchant à toi.
va savoir ! le mystère reste complet 😀
Gare, la langue de mot lierre risque de se faire bouffer par les verbivores !
Oups ! Vont-y bouffer tout l’truc sans même laisser du verbe ras ?
Ça va chauffer au jardin si les racines des mots voient ça…
Elles vont remonter de loin. 🙂
Et le langage n’a pas
de sa langue, l’émoi.
Surtout quand la langue des mois vit les saisons comme un feuillu.
Elle en perd du verbe à retordre.
Jo !!!
J’avais écrit un truc super poétique, super triste et super romantique
et vous m’répondez en mode burlesque genre : « Arrête tes larmes petite et pars plutôt n’faire qu’une bouchée de ton verbivore préféré! »
😊
Cépafô ! 😉
Bonsoir Jo,
J’ai suivi vos conseils, il semble que le mode burlesque teinté de poésie soit un excellent filet pour qui pêche l’indicible.
Seulement voilà, j’aimerais bien que la promenade perdure, alors -s’il vous sied et puisque vous disposez d’un blog de feuilles- je veux bien vous lire à nouveau.
Lys s’amarra
🙂
Bonsoir lyssamara,
Sur la promenade en eaux du burlesque les feuilles pêchent du surindicible à garder leur langage dans leurs filets. Je subodore que la poésie ichtyenne nage entre deux eaux sans que la surface n’en soit pour le moins troublée. Mais puisque vous insistez, je vais faire appel à l’hameçon pour savoir s’il peut vous attraper un vers ou deux.
L’amarre à Lys est-elle en tige ?
En vous souhaitant bon enracinement.
Jo, Lyssant sa plume sur l’arête centrale de son bon conseil, sans bougonner moindrement.
🙂
Oui, l’amarre à Lys n’est en rien fleur et ce, depuis toujours. C’est comme ça ! Et vous subodorez bien, incroyable! Z’avez intérêt de perdurer car vous m’épaulez joliment dans l’réel. Puisse ma syntaxe vous ébouriffer un peu en retour 🙂!
La syntaxe est on ne peut plus paradoxale ! Ce qui lui donne une allure légèrement élogieuse bien qu’assez floue et décoiffante. Et qui pourrait avoir comme conséquence éventuelle pour ma pilosité capillaire chevaline un fort désir d’aller rencontrer un artisan qui, armé d’une bonne paire de ciseaux, remette tout cela en bonne place bien mieux rangée. Merci de me le faire entendre aussi courtoisement.
Ma révérence salutative à votre fleurissement d’épaule à épaule Lyssamara.
Bon jour Jo,
«l’arbre mot», voilà deux mots tenus à la lettre cordage du L qui ne me laisse pas indifférent sur la route de la première ligne d’écriture sur le dos d’un samedi soleil (et pas un lundi, ça change) ce qui augure que je commence bien la matinée après un bol de chocolat et des croissants bien chauds servis par un hUber aux belles jambes galbées de cycliste qui m’a fait un clin d’œil me voyant (sic) en robe de chambre imprimée de fleurs.
Alors, on pourrait supposer comme Cyclopédie que je suis en plein rêve pour ceux qui connaissent ma toute petite vie et que je me bâtisse à l’instrument de mes envies aussi bien un jacuzzi qui chante l’eau comme un beau ténor qui le dimanche fait sonner la chapelle de sa cloche et repart le soir dans sa grotte au milieu d’un océan au chant d’un flux et reflux dont l’ampleur et la plénitude (happés) le rassure sur le langage … mais il n’en est rien et pourtant comme Cyclopédie : «… le langage n’a pas, Le rayon de la joie, mais le langage n’a pas, La douceur de nos voix.»
Max-Louis au bord de la plage coquillages, et te salue en s’apprêtant au plongeon d’un orteil à un autre … 🙂
Un orteil à la fois ? Cela permettrait-il de ne pas refroidir les deux en même temps ? C’est intelligent, mais quel échassier bizarre tu fais !!!
Ce qui me rassure, c’est que ta robe de chambre à fleurs prenne un galbe glabre, c’est du moins ainsi que je l’imagine.
C’est d’un rayon crustacé que le verbe plonge son agitateur dans le bocal, et que l’adjectif envoie son coup de pédale pour accélérer les locutions. Ainsi, de lexique en périlinguistique, le croissant doux de ton bol de chocolat me laisse perplexe, dans la lignaritude la plus absolue qui fût de chaînes.
Heureusement, l’océan vient baumer sans perte de goût la douceur des vérités sucrées, plénifiant de son onctuosité l’écumoire de la soupe au cuisses de grenouilles de la création.
Reçois toute la fraîcheur de l’eau dans laquelle tu trempes tes orteils.
Avec toute ma suavonnerie la plus moussante.
JoBougon tirant sur la corde du ha-glas-glas-d’ahanne-d’âne.
Sans bas de chemise ni sans haut de forme.