Il était 10h51 lorsque la prof s’avança dans la grande allée de l’amphithéâtre. Les étudiants s’étaient rassemblés en masse, prévoyant sandwichs et boissons, ils savaient que le cours allait être long. Mais ils savaient aussi qu’ils ne le rateraient pour rien au monde. Il s’agissait d’apprendre à écrire des lettres, mais pas n’importe comment.
La prof, une grande blonde, élancée, atteint l’estrade et brancha prestement son ordinateur sur le rétroprojecteur. Puis, se saisissant du micro, elle commença d’une voix claire et bien timbrée.
– ça y est, ça commence ! Chuchota Rémy en pouffant du côté d’une petite brunette à ses côtés.
– C’est bien le style à la grande Gertrude, INIMITABLE !
– Que tu crois, Anaïs, que tu crois…
– Pffff, Tais-toi vieux singe !
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– Bien, vous êtes nombreux, ce qui est plutôt bon signe. Bonjour à tous. Nous allons commencer par : Dans quel ordre écrire une lettre bien pensée ? Qui veut donner son idée ?
– Bonjour Gertrude, bonjour à tous. Normalement, on marque la date et le lieu en premier.
– Bonjour Benjamin, c’est un bon début, mais vous allez voir pourquoi ce n’est pas toujours l’idéal de lettre en-tête, par exemple, pour aujourd’hui, nous pourrions noter que nous sommes le dimanche 24 Mai 2020, et que, l’université étant rattachée à moitié sur Le Croisic et à moitié sur Moscou, nous pourrions préciser : écrit à Croicou, ou encore, à Mossic. Quand voulez-vous poster cette lettre, Benjamin ?
– Euh ! Je ne sais pas, je ne l’ai pas encore écrite…
– Donc il me paraît souhaitable de n’écrire la date qu’une fois la lettre écrite. On commence par quoi alors ?
– Bonjour, moi, c’est Jacquelin. On commence comme je viens de le faire, en saluant.
– Et tu salues comment, Jacquelin ?
Jacquelin se lève et salue en inclinant légèrement la rête.
– Pas mal ! Ça s’écrit comment ?
– Comme ça se prononce.
– Ça peut !
– On peut commencer aussi par : La magie de l’intrigue se trouve à la dixième ligne.
– Pour une lettre du cœur ?
– J’écris comme un as de pique !
– Sur des carreaux, ça va bien se passer.
– Bon, ok, c’est noté. Qui aligne la deuxième ?
– L’alignement devra être parfait.
– Ce n’est pas le contenu ! C’est le mode d’emploi, ça.
– Fô planter le décor de l’intrigue, grande duduche !
– Arrête, Rémy ! C’est pas paske je t’ai traité de vieux singe qu’il fö me traiter de duduche !
– Ben c’est ça, dis-le devant tout le monde encore…
– Bon, c’est une lettre ou une scène, que vous êtes en train d’écrire ?
– Une scène de lettre, pouffa encore Rémy en s’étalant comme une crêpe sur sa voisine de fauteuil.
Gertrude :
– Aller, je vous aide un peu. Mon amour, ça passe aussi bien pour une femme que pour un homme.
– C’est pas un peu tendancieux ?
– Un peu trop orienté ?
– Mouais, plutôt amalgame ! Genre, la personne disparaît au profit d’un sentiment qui n’est jamais qu’un concept.
– D’autant que ça ne lui laisse même pas le choix d’être d’accord ou pas. Qui vous dit qu’au moment où elle recevra la lettre, cette personne va être dans les dispositions précises de ressentir de l’amour à l’égard de celle qui lui adresse la lettre ?
– Ah, les écrits sont bien compliqués.
– Bon, tant pis, passons directement à la dixième ligne, après tout, l’essentiel n’a pas besoin d’enrobage.
– Mais si nous écrivons la dixième ligne sans qu’il n’y ait les neuf autres, comment va-t-on savoir que c’est la dixième ?
– On numérote les lignes ?
– Ou alors on n’a qu’à dire : mon amour, voici la dixième ligne de la lettre que je ne t’ai pas encore écrite, en te souhaitant bonne réception. Et puis voilà.
– Et cette dixième ligne avec l’intrigue, elle est où ?
– Beh, si ça ne vous suffit pas, écrivez-la vous-même !
– Qui a une autre idée ?
– Hola ! On n’a jamais dit que c’était l’intrigue qui était à la dixième ligne, mais seulement la magie de l’intrigue, c’est pas pareil !
– Je n’imagine pas comment on peut écrire la magie de quelque chose en mots.
– Dans ce cas là, il s’agit de passer par la poésie.
– Oh, cela m’inspire, tels les grands singes devant un régime de pousses de bambous, au milieu d’une grande jungle sauvage, le gnou domestique cherchait encore comment il allait écrire sa première lettre. Inspirée par l’élan salvateur du boa constrictor, la belette, insérée entre le A et le C, entra dans l’estomac du reptile sans discuter. L’ordre, c’était l’essentiel à respecter. Alors ensuite pourraient venir le dromadaire, l’éléphant, le figuier, et cætera.
– Bof, pour la magie, tu repasseras §
– ² J’aimerais bien t’y voir, tiens ! Sans clair de lune !
– C’est quoi ce petit 2 ?
– Sais pas, il est arrivé tout seul.
– ² Tiens, le revoilà !
– Tu parles d’un ordre !
– Bon, pour l’ordre, vous avez l’adresse ?
– J’suis pas sûre, pas très recevable, tout ça !
– Et si c’était sa lettre ?
– Hein, et si c’était ça, l’être ?
– Ce désordre ?
– Cette pagaille ?
– Ce bavardage ?
– Cette magie de riens du tout qui font plus que raretés ou que simplicités.
– Alors, on l’écrit, cette dixième ligne ?
– Là-bas, au fond du bassin, une vertèbre se tord pour mieux voir la douce lumière qui remonte jusqu’au crâne traversé de pétillantes connections. Mais quelle est donc cette intuition étonnante qui ne cesse de venir éclairer mes canaux intergalactiques, qui vient et revient sans cesse, depuis plusieurs décennies, et que jamais, au grand jamais, je n’ai encore réussi à définir clairement ?
– Eh beh purée, elle fait quatre lignes, cette dixième ligne !
– Et sa magie est lumineuse.
– Mais reste obscure…
– L’intrigue serait-elle neuronale ?
– Par méconnaissance, oui.
– Bon, on va pouvoir l’envoyer, cette lettre.
– Et nous allons y glisser un trèfle à quatre feuilles.
– Oui, vous avez raison, c’est moins lourd que d’y glisser un fer à cheval, ou encore une dent de la chance.
– Pour la dent, il en faut au moins deux !
– Une mâchoire complète, pendant qu’t’y es !
– Tu te vois, recevoir une lettre avec une mâchoire dedans ?
– C’est plus une lettre, c’est un colis !
– Bien, Merci Jacquelin, merci Rémy, Merci Anaïs, et merci Benjamin. Et puis merci à tous. La semaine prochaine, nous verrons comment développer une idée dans l’lettre. En attendant, réfléchissez à une idée particulière, arrangez-vous pour qu’elle reste fraîche jusqu’au cours suivant.
Si vous n’en trouvez pas, je viendrai avec une liste, et nous choisirons laquelle traiter.
L’année dernière, nous avons passé deux ans sur l’idée de la racine carrée, jusqu’au moment où nous avons découvert que quelqu’un les avait taillées à l’emporte-frite. Je ne voudrais pas orienter la réflexion mais l’idée de l’occupation de l’espace me paraît être un fondement dans l’lettre.
Bonne réflexion à tous.
Un cours de lettres hilarant ! J’adore l’absurde !
Moi aussi, marinadedhistoires, et pour compléter l’affaire du cours de l’an dernier, nous avons fini par faire mariner les racines carrées de la lettre pour en faire l’occasion d’une lettre Magistrale.
Belle journée dans la liberté du mot gaieté. 🙂 😉
🙂
Absurde à souhait, avec de belles trouvailles d’amusaille et de réflexionation, comment commencer ou finir un commentaire, je ne sais plus ! 😉
Merci Sabrina, car grâce à ton commentaire, je viens de réaliser que je n’avais pensé à aucun moment à la terminale, qui est d’un niveau d’étude suffisamment avancé pour clôturer les lettres de la lettre, et en faire l’occasion d’un espace balisé. A garder en en-tête, pour que l’en-queue soit complète. Ce qui viendra enrichir le cours suivant. 🙂
Eh bien, le cours a duré moins longtemps que prévu finalement ! attendons l’idée dans l’lettre pour en savoir un peu plus. L’ancienne secrétaire que je suis se délecte de ce nouveau style de rédaction. Si j’ai bien compris la formation sur 2 ans dure 12 mois… à tenter ! merci Jo
Ne te fie pas aux apparence, gibulène. Les silences sont loin d’être tous restitués, ce qui parait court ne l’est pas, car l’écrit n’est jamais qu’un condensé de l’étendue de la substance totale de ce dernier. Pour le temps de formation de l’an dernier, tu es d’une exactitude remarquable, j’en étais, la première, toute suffoquée de rire à ta lecture. Comme quoi, « tant va la précision à l’heure qu’à la fin elle éclate de rire ». Proverbe bien connu des chonophiles (dans son sens littéral).
Purée, plus j’avance dans la connaissance du langage, plus je suis effarée par son nuancier bizarre… 🙂
Merci à toi aussi gibu, et bien belle journée de quiétude avancée dans la lettre.
la quiétude est en surface aussi, le cerveau toujours en ébullition…. faudrait rétrécir le canal galactique susnommé 😉
Belle journée à toi ❤
C’est promis, j’essaie et j’essaierai !!
L’équilibre n’est jamais qu’une affaire de dosage.
🙂
Bon jour Jo,
Je me suis arrêté à la cinquième ligne : « La prof, une grande blonde, élancée » … et mon attention pour la suite de la lecture m’a fait revenir sur cette cinquième ligne par un automatisme au premier degré de la lettre que je pensais être la lettre de l’alphabet … en fait, j’ai été enveloppé par erreur de compréhension et ne comprenait pas que la dixième ligne avait se pouvoir de redondance qui me pinçait l’entendement jusqu’à mon cortex primaire daté depuis quelques décennies et qui a tendance à faire du surplace telle une toupie qui s’incruste à un point précis de la gravité qui a perdu son sourire depuis qu’un certain maître Newton avait eu un problème de mécanique dentaire et qui mâchant une belle pomme à défaut de mâcher ses mots dans une lettre avait formulé l’idée que la lettre qu’il devait transmettre à : » une grande blonde, élancée » ne devait jamais avoir lieu en cette circonstance … et qu’il développa une accélération de sa propre pesanteur devant … un pommier … comme quoi, les femmes ne font pas tout dans ce bas monde … 🙂
En tout état cause et au regard de la racine carré, je pensais à la racine cubique toujours dans les vignes à l’affût d’un bon millésime bien troussé du goulot pour une descente (et pas en rappel) digne de la plus grosse grappe d’œnologues qui donna (et pas Alice) cette fameuse lettre enchantée : « boire un petit coup c’est agréable … » …
Max-Louis (toujours habillé de sa feuille de vigne) 🙂
Bonjour Max-Louis,
J’ai suivi les nervures de la feuille de vigne jusqu’à son origine pour comprendre au delà du pommier la trace de votre commentaire et n’y ayant que couic compris l’essence du moult de l’ardeur, j’ai cru bon de concocter cette petite baffouillade pour ne pas laisser en reste le dit commentaire. Mais que voilci emportée par une suite de lettres toutes plus alphabétisée les unes que les autres, je me du de m’asseoir en plein milieu pour ne plus avoir à perdre mes esprits égarés dans la grande moulinade de mes pensées, voilà pourquoi soudain je me rempotai dans ma racine carrée du pot de la jouvence sans me laisser emporter par la jouissance du mot, bien que la tentation de la croix de bois, croix de fer, si je rends l’appareil de l’ascendeur à l’identique du décalage, on n’est pas rendus,
Bref, veuillez excuser de très à peu près mon françois ancien dans le style désampoulé du texte de ma réponse, j’en suis la première penaude.
Avec toute ma congratulation pour la fraîcheur de mai venant d’avril, de la courroucoucouçade de mes mots en réponse et mes répandage en résipiscences diverses et dévariées.
Avec toute mes amitiés sincèrement fidèles à ma nature de bases.
JoBougon pour vous dés-servir.
🙂
J’aurais tout donné pour assister à ce cours !
C’est jubilatoire.
Bisous Jo
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La grande blonde le refera, elle te fera passer une invitation. N’hésite pas à laisser tes coordonnées alphabétiques pour qu’elle sache où déposer l’invitation.
Bisous fée celestine.