Entrer en maison de retraite n’est pas une mince affaire quand on y pense. J’ai rencontré la grand-Sophie alors que je faisais un reportage sur la qualité des sols en institution dans le cadre du grand concours de circonstances de l’amélioration de la qualité des sols en institution organisé par le haut comité de la qualité des sols en institutions.
L’établissement est sis sur la crête du mont Manaslu, on y accède à dos de chameaux jusqu’à mi-nauteur, puis le périple se termine à dos de chameau jusqu’à la dernière moitié gravie.
La période qui précède l’entrée est souvent la plus difficile, il s’agit de rassembler les effets nécessaires et suffisants à la vie dans la dernière demeure.
La seule chose qu’elle avait souhaité conserver se résumait à quelques feuilles de papier et un stylo.
Rien n’est important ici bas, dans la mesure où ce qui est passé n’est plus, ce qui est présent est là mais s’échappe déjà, et ce qui est futur reste à écrire, l’essentiel étant d’écrire un avenir heureux.
Mais je m’égare, à raconter déjà la rencontre avec elle alors que je n’ai même pas encore décrit les lieux.
C’est une petite maison accrochée à flanc de rocher. Elle comprend dix chambres, spacieuses, et de pièces attenantes utilisées à la logistique.
L’enquête précédente faisait état de « fissures suspectes nécessitant la nécessité d’une nouvelle étude plus poussée ». En allant inspecter l’endroit, j’ai donc constaté ceci.
.
.
.
.
Il était encore un peu compliqué pour moi de déterminer l’origine de ces stigmates mais je ne décourageais pas de réussir à boucler mon article.
C’est là qu’elle est arrivée.
Elle parlait doucement avec un accent suffoqué du manque d’oxygène, elle ne voulait pas perdre le souffle qui était, disai-telle, le secret du longévisme longétidudinal de son gran-tâge.
– Je suis venue là, me confia-t-elle, pour rencontrer l’esprit du lieu.
– Depuis, j’ai compris que cet ésprit est partagé par la petite communauté, et je me demande comment je n’ai pas eu le réflexe de la photographie lorsque je les ai rencontrés au fil de ma retraite. Mais si vous voulez que je vous parle d’eux, vous allez oublier un peu vos recherches au sol et regarder les yeux grands ouverts autour de vous.
Puis elle claqua des mains.
Un premier pensionnaire arriva. Courbé sur sa canne, il me tendit une main de velours dans un mouvement d’humeur joyeuse et me serra la mienne.
Lui, me dit-elle, c’est Barnabé, il est spécialiste des plans d’eau. Barnabé est sourd, raison pour laquelle tu dois lui écrire ce que tu souhaites lui communiquer. Il ne perçoit que les vibrations mais n’a le décodeur que si tu le partages avec lui.
Barnabé me fit un petit clin d’œil puis traversa la pièce sur la tranche et sortit.
Deuxième claquement de mains de Grand-Sophie.
Une toute petite bonne femme dégringola du lustre. Je ne l’avais pas vue jusqu’ici. Elle était agile comme un singe et vint se percher sur l’épaule de ma conteuse de diamants.
Je dis ça parce-que sont dentifrice préféré à l’époque où elle avait encore des dents, ben c’était celui de la marque émail, à partir de là, vous allez comprendre la suite.
Je ne corrige rien.
Elle, poursuivit-elle sans se départir de son calme, c’est Lucette. Elle fut une grande dam pour son époux feu le grand un sans dits.
Même pas peur.
Sur sa lèvre supérieure restait encore une trace blanchâtre, stigmate du temps où elle laissait des inessuyés au brossage. Elle fit mine de soulever le coin, ouvrit un peu la bouche, puis se mit à bailler.
– Elle non plus elle n’a pas le décodeur ?
– Non, elle non plus elle n’a pas encore atteint l’âge du décodeur.
Complètement insensé, je restai dans la plus grande insension qui soit lorsqu’un quatrième personnage fit son entrée. Il était couvert de peauvres bêtes en lampeaux, semblait glisser sur le sol et s’y confondre, j’allais peut-être avancer du côté zébré de l’affaire.
– Aucune correction ne sera effectuée, mon brâve, alors faites bien attention à la faute d’ortho-graphe !
Il me tendit un papier sur lequel un nom était inscrit.
– C’est le nom du père, me dit-il ! Tu ne dois jamais le prononcer.
A l’instant où le nom me sautait aux yeux, une jolie pensionnaire en robe des champs arriva en clopant-clopin et me tendit un mouchoir.
– Ne pleurez pas jeannette, cela n’est jamais qu’une histoire de passage sans tabac.
– Mais c’est quoi ce délire ?
Grand-Sophie reprit d’un ton tranquille et sentant les cieux.
– Pas d’affolement, vous aurez votre idée de la question plus tard.
Ils ont tous défilés les uns après les autres, les uns tous plus défilants que les autres, je n’en revenais pas.
Oscarabé le pionnier, Blaise spécialiste des grands-aises, Corneille au flambeau, Apolline en fond sonore, toute l’équipe de la maison de retraite du Manaslu m’a débitée sa petite histoire en forme de sol.
Grand-Sophie à la fin me tendit une loupe.
– Voilà pour vos recherches.
Après une longue, longue étude de la question, j’ai scribouillé un rapport authentifié par attestation jointe.
Le sol de la maison de retraite semble présenter quelques zébrures brunes sur fond orange qui laissent présupposer que la lumière ne vient pas des fissures mais bien au contraire de l’ensemble du reste.
Ci-joint ma conclusion.
Le défaut d’aspect ne présentant aucun danger, le choix de réfection vous reste à charge.
Veuillez recevoir, Monsieur, Bla bla bla de circonstances adaptées, en l’attente de votre réponse, veuillez recevoir etc etc signé : votre envoyé de recherche qui a trouvé.
Jean Dunette
[…] « Haut comité d’amélioration de la qualité des sols en institutions […]
Sol fa si la si ré 😉
Mais le parquet n’a rien assis répond le banc debout.
Un p’tit coup d’chiffon avec l’O Cédar, et ça repart.
😉
Elle a bu ! J’en suis sûre ! Je vais de ce pas déposer mon rapport signé à la commission interdisciplinaire de l’indisciplinarité non linéaire. Du grand n’importe quoi que l’on sur-lit avec de grands yeux ébahis d’interloquage ! Je pense que celui-ci bat les records. Je vote pour !
Mais oui, elle a bu, et je ne dénoncerai personne en disant que le vin était bon, et qu’il me paraissait totalement impossible d’y résister.
C’est en linéarisant sous cape que la déviation est arrivée, et je n’ai rien pu faire pour m’en défendre, alors bon ! Pffff ! Je sais, pour ma défense c’est un peu léger.
On ne va pas en faire un fromage, surtout si ce dernier est affiné quoique, finalement, à bien y réfléchir, un calendos qui pue qui pue pour accompagner un vin gosier de velours, bref…
Merci du vote, Anne, et tenez moi au courant pour l’interdisciplinarité de la commission. 😉