J’organise, j’ouvre le bal.
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J’ai paniqué
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Ça fait un bout de temps déjà que le doc me dis, madame, sortez votre encre psychédélique.
Ce à quoi régulièrement je lui réponds, mais monsieur, je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
Sauf que cette fois, il a pris sérieusement les choses en main. Après m’avoir envoyé une assistance sociale, pour m’aider à faire les démarches, voilà qu’il m’envoie, emballé dans un joli paquet cadeau, un magnifique déambulateur de quatrième génération.
Vous imaginez bien que j’ai tourné les talons devant autant d’acharnement à m’envoyer dans un mouroir, alors j’ai ouvert le catalogue du club med, histoire de détendre un peu l’élastique du string. Là, j’ai rempli le formulaire avec un sentiment de soulagement que pardon, je n’en dis pas plus, et je me suis fait la malle. Par acquis de conscience, j’ai embarqué avec mon déambulateur pliant offert par le bon doc et m’en suis servie pour déambuler dans le grand hall de l’aéroport, histoire de voir comment ça faisait d’être vieille et dépendante, et j’ai attendu de voir.
Ah beh pour voir j’ai vu !
J’ai vu arriver les infirmiers les forces de l’ordre les chasseurs de prime et les fayots.
Ça devait être une épidémie de syndrome de Stockholm.
Ils ont du les dupliquer, c’est pas possible autrement !
Donc j’arrive direct à la maison de retraite du père Lachaise, on m’accueille avec le sourire, on m’emmène dans une salle de soins.
Tout y passe.
Identité, poids, taille, nombre de dents, nombril, tour de taille, hauteur du talon d’Achille etc etc
Puis un aide-soignant un peu baraqué me traîne attachée en fauteuil roulant jusqu’à ma chambre.
J’attends une demie-heure.
Je commence à avoir des aiguilles d’escarres au sacrum.
Ils s’y mettent à plusieurs.
Ils m’allongent dans un lit avec des barrières.
Avec des liens serrés pour éviter que je ne me casse la gueule, ou que je ne m’échappe à nouveau, c’est au choix.
Je regarde le plafond, envisage un plan B de survie, attends.
Ils viennent me faire manger.
Je régurgite un peu, ça leur fera les pieds.
L’infirmière s’extasie, en s’exclamant : Oh ! Regarde, elle a fait son rôt.
L’autre hausse les épaules, passe le bavoir sur le vomi puis essuie ma bouche avec.
C’est d’un goût !
La nuit tombe, bientôt je vois arriver l’infirmière de nuit.
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Je ne sais pas pourquoi mais soudain j’ai le sang glacé.
Je pense au curé de ma paroisse. Bien, voilà qui va beaucoup mieux.
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C’est là que tout commence.
Mes liens sont détachés, je me lève, et sors dans les couloirs.
Ils ont bouclé toutes les sorties y compris celles de secours, va falloir faire preuve de créativité. J’envisage une coalition sous l’angle positif de la solidarité bon train.
Mais avec qui ?
Je crie haut et aigü : y’a quelqu’un ?
Un à un ils apparaissent.
Les vieux.
Ils sont autour de moi, je ne les voyais pas, d’invisibles ils sont bien là, et l’un d’eux me fait signe de me taire.
Ta gueule, tu vas ameuter les autres dingos.
Bordel de merde, c’est quoi cette histoire de maison de retraite ou que les vieux se planquent invisiblement et que soudain je peux les voir.
Ben t’es morte, patate ! Tu nous vois parce-que t’es morte.
Mais alors, pourquoi se planquer ?
Parce-que les tarés qui tiennent cette maison n’en sont pas à leur premier morticide.
Ah ben voilà la meilleure.
Même mort tu peux encore crever.
J’ai paniqué.
Mon sang glacé n’a fait qu’un tour.
Elle est où la porte de sortie ?
J’ai encore pensé au curé de ma paroisse.
Ils ne m’auront pas cette fois, je vais revenir à la vie, et oublier ce vieux cauchemar d’outre-outrage à la vieillesse heureuse.
Je coule un regard bienveillant sur le premier mort venu.
Il me répond positivement, la conversion est amorcée, ça s’essaime comme une pandémie, les morts se réveillent, ils sortent de leur léthargie, et nous avançons ensemble vers la fenêtre la plus proche.
Qui sont-ils, je ne le saurai jamais.
Il y avait une étoile dans le ciel, et elle avait un fil de lumière qui traînait jusqu’à terre.
Je me suis hissée sur le rebord de la fenêtre ouverte malgré la hauteur et le vide en dessous et j’ai attrapé le fil pour m’envoler.
Eux, ils sont restés.
Ils sont les passeurs des oublis et erreurs en tout genre, ils restent pour laisser repartir les vieux perdus vers leur véritable destination.
Qu’est-ce qui lui a pris au doc de m’envoyer un déambulateur de désarticulation de ma véritable voie ?
Tout bien réfléchi, je crois qu’il voulait savoir, lui aussi, de quel côté était mon âme.
Mon âme, vieux Jacques Knokke-le-Zout, elle est pas si pire que la tienne, point.
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Mais c’est une vraie tuerie, cette histoire! Des morticides, Brrr…
Ça fout les j’tons, j’en ai des frissons dans l’dos !!!
Bon jour,
J’adore ! Et puis » la maison de retraite du père Lachaise » on comprend mieux la suite … 🙂
Max-Louis
Bonjour Max-Louis,
Vous n’avez pas eu la frousse ?
Le spectacle comprenait les chaises, bien sûr, et j’espère que vous avez été confortablement installé.
Passez une excellente journée, et encore merci pour le flambeau encore chaud, vous avez pu remarquer combien cela est nécessaire parfois de recevoir un peu de chaleur avec ces froids glaçants l’échine.
😀
Excellente journée également … et au flambeau je souhaite qu’il vous tienne chaud le plus longtemps possible … 🙂
Merci « mais » ça, Max-Louis, même Dieu l’ignore, pour peu qu’il soit.
La lumière intrinsèque pour l’instant a toujours suffi.
Mais vous avez raison de le souligner, nul n’est à l’abris d’un coup de chance.
https://youtu.be/eLGcECtC0PU 🙂
[…] Jobougon, toujours aussi allumée https://jobougon.wordpress.com/2018/03/04/jai-panique/ Notre turbulente Martine, de rouge écrevissée passe à la porte verte. […]
« Il y avait une étoile dans le ciel, et elle avait un fil de lumière qui traînait jusqu’à terre.
Je me suis hissée sur le rebord de la fenêtre ouverte malgré la hauteur et le vide en dessous et j’ai attrapé le fil pour m’envoler. » j’aime beaucoup cette façon de s’échapper !
Et bien très cher atelier, n’auriez-vous pas envie de vous y essayer aussi ?
Vous l’attrapez fermement à deux mains, ce fil, vous le faites tourner autour de votre cheville, vous sautez d’un bond et bloquez le fil avec l’autre pied.
Et hop, vous êtes suspendu au voyage de l’étoile jusqu’à la prochaine halte en terre ferme. Mais ne fermez pas trop la terre, elle risquerait de vous étouffer.
Hop, hop, hop !!!
Bon voyage.
🙂
Merci d’être venu jusqu’ici, mais après tout, vous aurez peut-être envie de participer à l’agenda des fous du mois de mars…
Que l’espoir de l’arcane 17 vous accompagne. 😀
Je vais participer ! L’idée est en train de mûrir…
Si je ne participe pas, on m’en voudra ? Mais j’ai lu d’une traite cette petite nouvelle d’une petite vieille. Bravo Jo.
Mais bien sûr, Anne, que pour en vouloir on en voudra.
Et on en voudra tellement que « on » va en écrire une pour toi, de participation.
Je vais contacter la petite vieille pour la brancher sur l’affaire, envoie Sibélius pour qu’on en parle.
Merci d’être venue poser la question, le fil de mars en est tout giboulée.
🙂 😀
[…] j’en dégaine mon plan B en lui proposant de lui écrire sa participation commune. Lire les commentaires : . Me vient l’idée de chez Martine. Un lapsus de lecture, encore, qui me fait de l’œil. […]
« Même mort tu peux encore crever ». Vu comme ça, tu peux tout te permettre, c’est sûr, même attraper le fil de lumière pour t’envoler ! C’est génial ! J’adore ! 🙂
Surtout quand le fil est solide.
Merci Laurence ! 🙂