L’instinct de résolution du réveil matin
13 mars 2016 par jobougon
De sonnerie résolue, sûre et coupante, il entaille la traîne de la nuit, brisant un rêve au passage. Quelques débris s’éparpillent au sol. Sous le choc, le regard hébété vient s’écraser au plafond, y déposant une coulures humides, restes de sécrétions à hydrater les songes. Chaque matin accumulé a fini par peindre un paysage de carillon, vagues diffuses, brumes fluides, perles de sommeil encore ruisselantes d’inertie au plafond des desseins du jour. Il paraît que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Ceci dit, l’instinct de possession du dormeur s’émousse parfois sur le champ pierreux du temps qui passe, le monde peut bien appartenir à qui veut, lui, c’est le matin qui le prend, le chahute, le soulève.
Alors, émergeant des coulisses de la couette, un bras, terminé d’une main aux doigts prompts, fait taire la sonnerie. Ouf ! Lui susurrent les oreilles. Sa bouche ébauche un bâillement discret, tout le corps s’étire, lentement, paresseusement, une jambe après l’autre, et ses deux paupières prêtes à se refermer sont vite rappelées à l’ordre par le cerveau émettant une pensée tonique. Café !
Le dormeur n’est déjà plus qu’un souvenir, cette fois, bien réveillé, l’œil vif, il court de la cuisine à la salle de bain, un coup de chauffage, une dégoulinade d’eau bien chaude, il s’ébroue, se sèche, saute dans ses vêtements, déguste le breuvage amer. Sa montre indique l’heure de partir.
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Chaque année les mois s’effilochent en jours qui passent, brins de coton tirés du nuage un à un, tranches de vie empilées sur le socle du calendrier, saucissonnées de saisons, bardées de fins de semaines, de fines lanières de week-end trop vite englouties. Ici et là quelques miettes de mardi jonchent la première seconde de mercredi, jeudi court déjà devant, « rien » ne s’essouffle jamais.
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Pourtant, ce matin, « rien » n’est pas comme d’habitude. Son air paraît plus limpide, les couleurs de la ville plus vives. Aujourd’hui tout est différent.
Aujourd’hui, la poigne du destin s’est saisi de la direction du marcheur, qui accélère le pas. Pour se rendre à son travail, il emprunte la ligne 11 à la station Châtelet. Et se trompe de ligne.
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Voici le témoignage du marcheur :
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« Qui s’endort dans le métro se réveille poète*
* Proverbe somnambule des laboratoires Boris Vian ».
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Un jour, alors que je travaillais la rime, l’une d’elle se planta devant moi et me dit :
– La poésie, c’est comme la pêche, tu envoies une ligne et tu ne sais jamais si le poisson va mordre ou si l’appât se fera bouffer sans rien ramener, tout est dans le choix de la plume !
Après un instant de surprise, je réfléchis à ce que m’avais dit Jean Sol Partres, qui pensait que la poésie c’est comme la cuisine. Plus on la pratique, plus le plat est bon.
La rime reprit d’un ton badin :
– Si tu veux me faire blanchir, tourne sept fois ta plume dans l’encrier, tamise un peu les mots, fait les cuire à l’humeur du jour, et nappe la feuille de papier avec.
– Mais si tu veux en faire une crème, lie les syllabes en alexandrins, barde les de strophes pas trop grasses, assaisonne d’assonances, glace le tout d’un bon rythme, et attends.
J’ai regardé la rime plantée devant moi en me disant :
– Elle lit dans mes pensées, c’est pas possible.
La rime sourit.
– Réveille toi, je suis dans ton cerveau, c’est moi qui fait pousser du vers libre, de la julienne d’allitération, de la compote phonétique. Envoie ta plume, je vais voir ce qui me reste en cale, la pêche a été bonne cette nuit.
C’est comme ça qu’un jour, alors que je travaillais la rime, ma plume s’est mise à courir sur le papier sans que je pu l’en empêcher. Je me suis dit qu’à transpirer comme ça, elle finirait par faire des pâtés d’encre sur la feuille, c’est poétique un pâté, mais bon, j’étais tout de même prêt à sortir mon buvard au cas où, quand une rime se planta droite devant moi et me dit ainsi :
– Viens donc te faire les muscles avec moi, en compétition avec la prose, on a des chances de gagner la course et de monter sur le podium.
J’ai remis le papier d’aplomb pour que la ligne revienne à l’horizontale.
– Couchée, la rime ! Tu n’es pas censée m’adresser la parole, ni être athlète, tu n’es pas une bête de concours la belle, essaye juste de faire rêver le lecteur.
– C’est ballot, ma souplesse n’est plus ce qu’elle était, mes figures de style font des syncopes à répétition, il suffirait d’une petite randonnée et hop, l’appel du dénivelé remettrait de l’huile dans les rouages.
J’allais lui répondre lorsque j’ai senti une secousse, puis deux.
– Monsieur, réveillez-vous, c’est la dernière rame, vous êtes au terminus.
– Quoi ? Mais où suis-je, où erre-je ? m’écriai-je en sortant vaguement de mon assoupissement.
– La Villette, monsieur, tout le monde descend !
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Il paraît que dans mon sommeil, je psalmodiais de la rime en boucle.
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“À mesure que je deviens vieux
Je m’en aperçois mieux
J’ai le cerveau qui flanche.
Soyons sérieux, disons le mot
C’est même plus un cerveau
C’est comme de la sauce blanche »
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Un tour de Vian, c’est si vite arrivé !
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La conductrice était une femme ! Big fish en personne ? J’étais pas trop rassuré !
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En plus de n’être pas très sûr d’être bien réveillé, quand je suis descendu sur le quai, j’ai été accueilli direct par un drôle d’oiseau armé qui me twitwittait un truc en Tolstoï,
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je vous laisse découvrir ça, il avait sûrement lu tout carnet muet et tout patte ferroviaire pour pondre son article. Pas moyen de lui échapper, les deux armes pointées sur moi, il me tendait un livre. J’ai vaguement compris qu’il me disait :
– Il faut venger le dodo en boite !
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J’ai repensé à jean Cocteau qui disait un jour à un journaliste que « les rêves sont la littérature du sommeil », ben il s’était pas trompé de beaucoup celui-là !
– En sortant du métro, un taxi m’attendait.
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Encore une farce d’Anne, ma main à ne pas couper. Ça collait au genre testamentaire comme deux et deux font un, elle te promet un pot de vers confit au formol et t’envoie le taxi pour venir le chercher.
– Tu parles d’un dada ! Que j’me suis dit. Remarque, ça aurait pu être pire…
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Et voilà, tant va la rime de métro au poète qu’à la fin il prend le taxi.
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Ecrit pour les impromptus littéraires et l’agenda ironique de mars d’1pattedanslencrier.
Inspirée en partie de la vie au plafond du poète Rx Bodo, en partie du zoo de Vincennes, et en partie des usines de conserve Jasper Fforde.
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Publié dans Non classé | 18 commentaires
Joli, Jo !!!
Un ami empailleur un peu bourgeois disait que le métro est le taxi des Rmistes…
Et ton ami, il empaille les ânes aussi ? Il ne faudrait pas que ça se retourne contre lui.
Une amie conductrice de bus un peu claustrophobe disait aussi que le métro, ça mène à tout à condition d’en sortir, je suppose que c’est pour ça qu’elle a trouvé un boulot de smicarde depuis.
Merci patte, tu n’as pas peur d’avoir des amis taxidermistes ?
Normalement et selon la coutume, il n’a pas à se soucier de mon pelage avant 4 ou 5 vies supplémentaires !
Ouf ! Tu sais combien ce serait une grosse perte pour la France et le Pakistan Nord Nord ! Plus d’enquête boulochée à 40° au deuxième lavage, plus de dodo aux allumettes, de canard frangé, de tisanes rares prisées par Flanagan-Johnson. Ce serait irréparable. Pire que la peste ou la petite vérole, quoi !
Tu connais la p’tite vérole, toi ?… Moi, je n’ai côtoyé que son aînée !
Par roman photo ouï-dire, seulement !
Dans la famille fléaux, je demande… Euh ! J’allais dire une ânerie de plus.
Bonne journée patte.
[…] L’instinct de résolution du réveil-matin de Jobougon qui revient nous prouver qu’une randonnée en métro ne vire pas toujours en rang d’oignon ! Bravo Jo pour ce maelstrom d’inspiration Bodo-zoo-Fforde qui fleure bon le dépassement de zone A, B et C. […]
Qui ne connait les stridences sadiques des réveille-matin briseurs de rêves?
Jusque là, j’ai bien suivi, mais ensuite, emportée par le délire des mots, je ne sais plus où est passée ma comprenette, il faut que je revienne voir ce qu’elle est devenue!
Oui, c’est la ligne 7 qui perd le lecteur à tous les coups. A cause des dénivelés. Il faut bien que ce soit la faute à quelqu’un. A moins que Thursday Next l’enquêteur de l’affaire Jane Eyre n’y soit pour quelque chose avec ses voyages dans le temps. Il me plait bien celui-là. Je crois que je vais acheter son livre. Pas que je soutienne l’idée du Dodo en boites, mais il a l’air un rien déjanté le monsieur. Je suis sûre que ça va me plaire. 😀
Le cou du réveil matin est à tordre, c’est sûr. La marche du poète solitaire comme un ver qui vire au cramoisi et rencontre la rime chemin faisant nous porte à rêverie dans les bras de ces jolis morceaux de plume. C’est gai, ces challenges et ces mots à l’emporte imagination. On ne s’en lasse pas. La boite à dodo, dingue ! Mille félicitations droit dans les yeux et en face à face, confiserie au formol contre métro d’âne.
Sur cette idée magistrale, j’ai essayé de tordre le cou à mon réveil, il semble immortel, il a encore sonné ce matin. Je ne lui en veux pas trop, j’étais déjà réveillée. C’est un résistant de la première heure.
Merci pour le taxi Anne, j’arrive. Heureusement que le formol conserve, je me demande si je ne ferai pas une crème hydratante visage et corps avec, une fois dégustées les confiseries. A moins que ça risque de m’empourprer.
Eblouissantes, tes félicitations ! J’ai mis mes lunettes de soleil tellement.
La rime a du muscle et le bouquet de vocabulaire est spectaculaire.
Merci Rx, probablement le fait des échasses et du dénivelé. 😉
Jubilatoire….
Bravissimo !
Lol, merci La Licorne ! 🙂
je reprendrais bien un peu de julienne d’allitération et de compote phonétique.
C’est très fin et se mange sans faim 😉
Bisessss
Il me reste du verbe râpé de ce midi, assaisonné d’une fond de mots gribiches si tu veux. Je précise que c’est fait à la main mais pas roulé sous les aisselles.
Bisessss Valentyne
Et ton tien, de texte, à quelle rame on l’attend ?
Rhhôô, je viens de voir sa parution, je vais lire ça tout de suite ! 😀