J’étais partie pour écrire un truc, et me voilà à lire ce drôle de livre acheté en écosse, lors de mes dernières vacances. Ce recueil de nouvelles extraordinaires m’a attirée par on ne sait quelle force mystérieuse à laquelle je ne pu résister. Dix jours ! Très exactement dix jours que je l’ai posé sur la table de nuit, que je le regarde, intriguée. C’est que ce livre a quelque chose d’inhabituel. Il me semble que chaque fois que je pose les yeux sur lui, il est identique et pourtant différent, il me laisse une impression étrange, comme quelque chose qui vit mais dont on n’arrive pas à saisir la progression, un sentiment vague, incertain, mais si troublant, qu’il en est obsédant. Bref, ce bouquin s’est emparé de moi au moment où je me décidais enfin à écrire pour l’agenda ironique de novembre chez Madame l’écrevisse turbulente. Y’a pas à dire, elle a les antennes coquelicot, madame l’écrevisse, le stylo leste et l’ironie malicieuse, avec son fameux cronotruc trope qui sonne comme une pseudo farce, de chez Balthazar Dali. Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ? Balthatruc Julio quelque chose en zar ? Oui, c’est bien ce que je disais, elle ne recule devant aucune mer sargastique, devant aucune reproduction d’anguilles à la mode de Caen, mais moi, ça me laisse muette. Tenez-vous bien, elle nous distribue deux pages blanches au milieu d’un livre et dépatouille toi avec ça. Voila-t’y pas que je me suis gratouillé les neurones, tournillé en tout sens les longues synapses ralenties par l’espace sidéral de toute cette blancheur. Neigeux, ralentissant, déconcertant, va falloir trouver une pirouette mais pour l’instant, vu que rien ne vient, j’ai escamdépétré la touche de mon clavier où je m’échappe lâchement, et me voilà avec ce livre bizarre qui me nargue le cerveau en me tenant littéralement sous l’emprise des mots qui déroulent leur histoire au fil des heures d’insomnies. La bonne excuse diront certains, bien en peine de faire autrement rétorquerait vertement d’autres. Ma mauvaise foi reprend du champ ? Non non non ! Jamais de la vie ! Oh, et puis zut, il faut toujours un bouc émissaire alors quoi ? Si ce n’est pas moi qui décontourne la non idée alors c’est bien que la double page immanuscrite ne me dis rien qui vaille. Une écrevisse écrevissante, c’est donc louche et forcément à l’origine de ma non défaillance de mots serrés à côté des mes idées. De mes pompes ?
Voilà, c’est encore mon guide de conscience qui cause. C’est que dois-je dire, je l’ai vu, pas plus tard que cet après-midi, posé sur un radiateur, dans un bureau officiel. Si le message m’a fait sourire alors, son retour du refoulé du soir me fait grincer des dents. Non, je ne délaie pas du mot histoire de faire comme si, je suis prise par l’intensité d’un livre hypnotique qui ne me fait pas dormir.
Minuit a sonné depuis un bon moment, le silence épais m’entoure de son coton amortissant. Ce livre me fait penser à ceux d’Edgar Allan Poe. Le genre de scénario qui saisit bien les tripes, les noue, les serre, les tourne et les retourne, te tient en haleine, jusqu’au dénouement le plus sordide qui soit. Au fur et à mesure de mon avancée, il me semble que la forêt de la couverture devient de plus en plus sombre, épaisse. Et puis il y a cette silhouette à la fenêtre du manoir. On dirait bien qu’Edward Rochester et Jane Eyre sont là, ressuscités d’entre les souvenirs de lecture d’antan. Ces ambiances lourdes et agitées ont toujours eu le don de me captiver. Juste au moment où le chat noir traverse le jardin sous la pleine lune, je tourne la page 127, trois heures sonnent à l’horloge de la salle à manger, les caractères s’effacent alors et me voilà saisie dans une spirale et aspirée entre les deux pages. Le livre se referme sur moi. J’essaie de bouger un orteil, puis deux. J’écarte les pages pour ouvrir le livre. J’en sors. Même pas écrasée, comment ai-je pu tenir ainsi entre deux pages, aplatie, sans volume ? Serait-ce un rêve, me serais-je endormie ?
Page 128-129 ? Je ne sais pas trop. Les chiffres n’y sont plus. Je tiens le livre ouvert entre mes mains. Le papier est blanc comme neige. Je n’ose plus tourner une seule page de peur de repartir dans un autre endroit car ma chambre n’est plus la mienne et pourtant je m’y sens comme chez moi. Il y a une cheminée où flambent quelques grosses bûches. Un fauteuil où dort un homme, que je ne connais pas, et ce sentiment de le connaître pourtant. Le décor a quelque chose de familier. J’entends le chat miauler dans le jardin, gratter à la fenêtre. Je le fais entrer, il vient se frotter à mes pieds, puis saute sur le lit et se met en boule contre mon flanc, en ronronnant de plaisir. Il a l’air d’adorer les caresses, il semble me connaître.
Je reprends le livre là où je l’ai laissé, cette fois une inscription bien lisible s’est affichée sur les deux pages.
« Réveille le, il a quelque chose à t’apprendre ».
« Mais qui-est-ce ? Me demandai-je intérieurement ».
Le livre m’entend, il me répond. Des phrases se forment et me répondent. Je me pince le bras, ça fait mal, je ne dors pas. Mais est-ce bien sûr ? Et si la sensation de douleur faisait partie de mon rêve.
Je décide que l’incertitude n’est pas si importante que ça, le livre me dit que c’est mon arrière grand-père. Alors je me lève et vais le réveiller, et découvrir ce qu’il a à m’apprendre.
– Ah, enfin ! Tu es là !
Il se lève, me serre dans ses bras, m’embrasse.
– Je suis revenu d’entre les morts pour te raconter le drame, de là haut je vois bien qu’il te hante au point de t’empêcher de vivre, et tant que tu ignoreras l’héritage qui est le tien, tu vas errer, t’égarer, et ne rejoindras pas ce chemin d’harmonie qui t’est destiné. Assieds-toi, écoute moi attentivement, pose moi toutes les questions que tu veux, nous sommes hors du temps, dans une poche d’éternité, nous ne sommes pas pressés, ensuite, je repartirai dans mon monde et toi dans le tien, et tout changera pour toi comme pour moi.
Et le voilà qui me raconte sa naissance, la rencontre avec mon arrière grand-mère, la naissance de mon grand-père, l’enfant non reconnu, élevé par une mère célibataire, à cette époque, ça pesait lourd. Ce grand-père de père inconnu qui travaille chez son père une fois adulte, un père qui veut léguer sa ferme à ce fils illégitime mais sans dire les raisons, qui en est empêché par sa sœur, vieille fille aigrie avec qui il vit, qui craint l’opprobre du scandale si toute l’histoire venait à être découverte. Et lui qui cède, qui abdique, abandonnant son propre fils à une réputation estimée plus importante, à une sœur qui ne veut rien entendre. Voilà toute l’histoire, me dit-il. Cette fois, je t’offre un mot d’excuses pour ton concours, ma chérie. Tu n’auras qu’à ouvrir le livre à la page 128.
Voilà, de retour sur le blog, madame l’Ecrelicot, ce mot d’excuse de mon arrière grand-père.
« L’embardée des souvenirs d’ancêtre se lisent à la croisée de vos deux pages vierges quand sonnent trois heures. Merci madame Turbuquelicot de m’avoir permis de connaître ma descendante. »
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Ma deuxième proposition à l’agenda chez Martine, dixit turbulente écrevisse coquelicot, ici :
http://ecriturbulente.com/2015/11/05/agenda-ironique-du-mois-onzieme-cest-parti/
La connexion mnésique
16 novembre 2015 par jobougon
Je fus emportée dans la lecture mnésique connexée, tourne-chamboulée entre les pages, suspensée par ce récit p. 128-129. Les choix de l’écrevisse sont bien porteurs : je le vois, je le sens, la votation sera compliquée devant la non défaillance des non idées bougonesques. On n’est pas dans la B… de M…
Merci Anne de faire remarquer que la page passe par Chamboule-Tourne-L’écrevisse, dans ce non Bougon de Micmac comme tu cites si bien, la mnésie est totalement Eluardienne par le courant Dalinien qu’il produit.
L’ange doit y être pour quelque chose…
https://annedenisdelln.wordpress.com/2015/03/20/marilyn-gustave-et-lange-melomane/
Être dans la B… de M… pour ça, ça va !
Nom d’un saperlipopette (ou une ?… qui dira le genre du/de la saperlipopette ?), c’est du lourd, avec de la pomme et de la mûre….finalement, dans les bouquins, les pages blanche sont les plus intéressantes !
Je rêve de pâte de fruits à la pomme et à la mûre, sûr que c’est encore la page blanche qu’aura vendu la mèche ! Carnetsparesseux, vu ton nom, je te suspecte d’avoir inventé le concept de la page blanche, alors grand merci, elles sont essentielles à l’édition « saperlipopette », bien sûr !
Je ne sais pas si j’ai bon, Lol !
Je relis, et je dis « joli » : et dis-donc, toi aussi tu discutes avec tes livres ! 🙂
Oh oui, ils m’en disent long souvent, mais c’est bien la première fois que j’ai la preuve qu’ils m’écoutent et rapportent mes propos. Ils m’appellent aussi parfois. Certains m’apprivoisent avant que je ne réussisse à les ouvrir, d’autres me laissent fébrile et impatiente de les lire, d’autres encore m’inspirent de la curiosité sans arriver jamais au bout de leur lecture.
Et puis un jour, l’un d’eux ressort, pour un sujet, une idée précise, et il est temps de le lire. C’est comme ça.
Et toi, comment tu causes avec eux ?
😀
Tous les livres ont une magie. Attention, blanche ou noire, il faut se méfier…
Et ces livres n’ont pas grise mine, un livre averti en vaut deux, merci Hervé.
A reblogué ceci sur Écri'turbulente, c'est en écrivant qu'on devient écrevisse.et a ajouté:
Dans ce nouveau texte, Jobougon s’en donne à cœur joie ! Elle part l’attaque des écrevisses, D’UNE écrevisse extrêmement turbulente plutôt, aux antennes coquelicot. En tout cas, elle a pu rencontrer son arrière-grand-père… allez voir page 128 !
Absolument hilarant et jouissif, parole d’écrevisse !
Il faut donc croire que, contrairement au dicton, dans la crevette, tout est bon y compris les yeux tant les siens ont su capter et proposer un sujet qui inspire tant… Bravo Jo…
Yo Jo comme disait un ami GI
Et le dicton de préciser, c’est que la crevette est d’optique charmille, tant est touffue l’allée de charmes conduisant au manoir. Oui, le sujet de madame l’écrevisse est une belle fenêtre ouverte, merci patte.
Rencontrer son destin, son futur et son passé mélangés; est-ce hasard? Bizarre, bizarre. J’aime trop cette histoire! 🙂
La question que tu poses est loin d’être anodine dis donc !
Dans l’ignorance je répondrai que je ne sais pas.
Merci pour ton appréciation Jacou.
Fabuleux texte sur la filiation et les secrets de famille ! Une page blanche qui donne le vertige
ps : La mère de ma mère est une « enfant trouvée » beaucoup plus joli que enfant abandonné mais au fond c’est pareil …une page blanche…
Visées
Bises et pas visées 🙂
Vertige généalogique sur page blanche à réinventer, comment relier histoire familiale et présent quand on n’a pas le fil conducteur ? Trouver une enfant, la recueillir, lui construire un futur, c’est aussi donner un sens à sa vie. C’est une très belle formulation qui laisse en creux l’abandon mais le rend plus supportable du message positif qu’il sous-entend. Le tout étant de ne pas s’enfermer là dedans mais plutôt d’en faire l’occasion de réaliser sa propre oeuvre de vie.
Bises Valentyne. Et même visée, toute bise est toujours bonne à accueillir.
😉
🌹
[…] La connexion mnésique […]
[…] La connexion mnésique […]
Ce texte là, je l’adore avec son ambiance fantastique très XIXème siècle.
Je suis en train de lire du Wilkie Collins en ce moment, il y a des résonances stylistiques avec la visite de ton arrière-grand-père bien que cet auteur ne fasse .pas dans le fantastique en fait.
Wilkie Collins m’était inconnu jusqu’à peu. Sa fin de vie interroge, le piège de la mission qui l’aurait conduit à sa perte.
Merci pour la découverte de cet auteur.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Wilkie_Collins