En galopant de blog en blog voici que je tombe sur une ruade chez Valentyne, puis piquée de curiosité, me retrouve chez Philippe et découvre un petit exercice d’écriture que je m’empresse de récupérer à la façon de Raymond Queneau dans son exercice de style, la même scène vue différemment.
Evidemment, lui en a réécrite une cent fois, je me contenterai de deux pour l’instant tout en conservant la consigne de « Camus et moi ».
Camus et moi
Une fois par mois, je participe à un atelier d’écriture. Cela m’oblige à écrire sinon je n’en trouve jamais le temps.
L’animatrice nous a proposé un texte d’Albert Camus, un extrait de « L’étranger » :
« C’était le même éclatement rouge. Sur le sable, la mer haletait de toute la respiration rapide et étouffée de ses petites vagues. Je marchais lentement vers les rochers et je sentais mon front se gonfler sous le soleil. Toute cette chaleur s’appuyait sur moi et s’opposait à mon avance. Et chaque fois que je sentais son grand souffle chaud sur mon visage, je serrais les dents, je fermais les poings dans les poches de mon pantalon, je me tendais tout entier pour triompher du soleil et de cette ivresse opaque qu’il me déversait. A chaque épée de lumière jaillie du sable, d’un coquillage blanchi ou d’un débris de verre, mes mâchoires se crispaient. J’ai marché longtemps. »
La consigne était de relever tous les noms du texte et, à partir de la liste dans l’ordre, écrire son propre texte.
L’éclatement de nos joies conjuguées glissait sur la plage comme un tambour battant de sable, et la mer, radieuse, recouvrait d’écume blanche les longues algues ondoyantes en bordure du rivage, dans une respiration aqueuse et mouvante. Il faisait bon se revoir. Les petites vagues léchaient quelques rares rochers, dans un clapotis joyeux. Tu étais enfin là, front rayonnant, soleil de ma vie, avec cette chaleur enveloppante si particulière, mystérieuse, quasiment magique. La couleur des blés mûrs était toute entière dans ton sourire, et lorsque tu m’as serrée dans tes bras, j’ai fermé les yeux, pour mieux goûter l’instant. Tu as chuchoté à mon oreille que l’été serait en avance cette année. J’ai senti ton souffle glisser sur mon visage, puis tes dents mordiller mes lèvres. J’ai glissé mes poings serrés dans les poches de ton pantalon, pour que nos deux corps soient soudés. C’est à cet instant précis qu’un rayon de soleil s’est détaché de l’azur, attiré par l’ivresse de nos retrouvailles, descendant se planter telle une épée de lumière dans une butte de sable blond, à deux pas de nous. Autour de lui, les coquillages rutilaient de mille éclats folâtres, on aurait dit des débris de verre éparpillés, embrasés par le faisceau flamboyant, capturés par une mâchoire d’écume marine. Il me semblait que le ciel portait la couleur du bonheur. Même le cri des goélands m’appelait à ne rien perdre de cette fugace seconde d’éternité.
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L’éclatement de nos deux rires conjugués résonnait en étoile sur le sable blond. La mer, d’une houle caressante, venait lécher la grève au rythme de sa respiration aqueuse, et les vagues postillonnaient leurs embruns chargés d’écume sur les rares rochers affleurant. J’ai vu ton front se plisser et le soleil soudain est parti se cacher derrière un nuage, emportant avec lui la douce chaleur rayonnante venue attendrir l’hiver. Dans un souffle, tu as chuchoté le manque, l’absence, et ton visage était triste. Jusqu’à ton sourire qui montrait les dents augurait d’un danger prévisible. J’ai serré les poings pour résister au chagrin, je connaissais l’erreur de la dépendance, ne trouvais plus les mots pour nous mettre en garde contre le piège de l’emprise. Au fond d’une poche de mon pantalon, j’ai senti le petit caillou soleil, symbole de notre rencontre, le petit caillou soleil qui nous reliait. Je l’ai sorti de la poche pour te le montrer mais ton cœur ne retrouvait plus le chemin. La souffrance du manque avait tué l’ivresse. Alors j’ai senti l’épée de la fatalité transpercer nos cœurs déchirés, éteindre la lumière de ce bel amour auquel nous avions tant cru. Autour de nous le sable n’était plus si blond, et les coquillages luisants semblaient n’être plus que débris de verre épars, détritus abandonnés. La mâchoire de la malédiction venait de se refermer sur nous.
Un excellent exercice pour un écrivain bien inspiré.
Deux textes opposés, à mon avis il en manque au moins un pour les relier, un texte intermédiaire qui saura réinstaurer la continuité d’une belle histoire, en parcourant la moitié du chemin.
Yapluka !
Merci Charef.
Eh ben voilà ! Charef m’a volé mes mots. J’aime beaucoup tes deux textes !
Ah ben si les mots se volent, ils volent bien ! Merci Martine.
Et puis chez toi, la grand mère Loulou n’est pas à court non plus.
Bises.
Ca m’a donné envie d’aller voir chez ce Philippe et de m’abonner à ce blog. Et puis l’exercice est plaisant et tes textes tout aussi réjouissants (même si le second est triste). C’est amusant en tout cas et puis, j’aime ton écriture même dans l’application d’un exercice. Pour un prochain agenda (ironique), il n’y a que l’embarras du choix. C’est fou comme l’écriture est protéiforme : on ne s’ennuie jamais.
Après, dans l’idée, ce serait de prendre le temps quand il est là pour réécrire à l’infini cette scène en transformant à chaque fois le scénario, de façon à en décliner les possibles. Tu as raison de le souligner, l’écriture est passionnante dans toute sa diversité, et ses jeux de style variés sont d’une richesse illimitée. Chaque fois c’est une découverte, chaque fois une autre manière de broder du sens, du non sens, dans la plus grande liberté. C’est ce qui est grisant je crois, cette liberté de dire, d’inventer, d’évoquer, de suggérer, je ne m’en lasse pas.
S’inspirer d’autres en reprenant des idées, et puis peut-être aussi en inspirer d’autres. J’adore le monde des blogueurs pour ça.
Et puis que tu aimes, cela fait drôlement plaisir.
Grand merci Anne, fans mutuelles nous sommes. 😀
Deux trés beaux textes, l’un ennivré de bonheur, l’autre marqué du sceau de l’impermanence des sentiments qui s’étiollent, s’affadissent et disparaîtront..
J’ai adoré « le petit caillou soleil qui nous reliait… »
Bravo Jocelyne. Hervé
Il y a toujours un objet transitionnel qui relie, qu’il soit réel ou symbolique.
Parfois il ne fait pas le poids.
Mais j’ai toujours tendance à croire que la conscience partagée de l’espace de jeu qui s’y trouve peut remporter le pari de sa réussite.
Merci Hervé
Les mots de Camus t’ont portée Jo, et tu en as fait de très beaux textes, très visuels, pleins de sensations et d’émotions.
Un grand merci domicano. Déjà l’étranger d’Albert Camus est un ouvrage très riche, mais les mots à utiliser ont su me donner envie d’y broder quelque chose. Et puis cette citation de lui, une merveille. J’adore cette force qui enjambe l’absence. Elle transporte.
merci pour ces deux respirations inspirées…
Entre deux inspirations, une expiration. 😉 Le souffle y est.
Merci Moonath
Deux histoires bien différentes mais traversées du même souffle lyrique!
Je n’avais pas fini!
On est aussi envahi par une marée d’émotion qui nous laisse rompus comme des débris de coquillages sur le sable au soleil…
Bon j’arrête, je ne vais tout de même pas faire l’exercice! 😉
Bel exercice de style que ta marée d’émotion, Leo, pas obligé de s’arrêter quand ça démarre… Je trouve toujours plus facile d’avoir des mots à utiliser pour construire un texte, les adapter à ce que je veux leur faire dire m’amuse toujours beaucoup. C’est souvent plein de surprise. 😀
Coucou Jo
Je reviens car je n’avais pas souvenir de réponses à mon petit commentaire …
Et là je vois qu’il a disparu …
Je disais juste que ces
Deux textes étaient magnifiques …. 2 amoureux qui se retrouvent puis se quittent … Et la phrase « La souffrance du manque avait tué l’ivresse » que je trouve splendide 🙂
Bisesss
Merci Valentyne,
Faire cohabiter deux textes aussi opposés ! Décidément, je me dis encore qu’il manque les intermédiaires. A la fin, je vais finir par travailler dessus, qui sait si cela ne viendra pas réamorcer le processus de l’écriture qui s’est mis en veille actuellement.
Je ne m’en offusque plus, je sais qu’un ailleurs est à l’oeuvre qui mobilise l’énergie.
Bisesss avec trois « s » aussi, je trouve ça plus doux. 😉
A reblogué ceci sur L'impermanence n'est pas un rêveet a ajouté:
Voici une troisième version de l’exercice de style « Camus et moi ».
Quand j’ai senti l’éclatement de la joie, j’ai compris que le sable ne tomberait plus du ciel mais que la mer le ramènerait à son havre de paix. Nous avions la respiration des étoiles en nos cœurs, les vagues du vent des quatre saisons avaient rejoint Vivaldi et les rochers pouvaient maintenant dormir tranquilles. Dans le front des nuages, le soleil parcourait les mondes endormis et sa chaleur dense faisait frémir nos souffles réunis. Il n’y avait plus que ton visage près du mien, les dents du reste du monde n’auraient plus rien à mordre, et tous les poings se desserreraient à jamais, y compris dans les poches trouées des poètes à l’écriture en forme de plume de pantalons des temps infinis. Et puis comme un soleil ne vient jamais seul, le mien t’a rejoint d’ivresse, dans l’épée de lumière, dans le sable éternel, où les coquillages jouent à colin maillard et où les débris se recyclent et se transforment dans le grand verre fabuleux pour que les mâchoires soient serties de nos plus belles paroles.
[…] Source : Camus et moi […]