C’était une nuit de lune noire, ma vessie pleine me tira du sommeil, et la paresse me porta à ne pas mobiliser l’interrupteur. Je traversai donc la chambre à tâtons et pof, soudain, ma tête heurte l’angle brut de la porte. La douleur, pas trop lancinante, mais bien plutôt sourde, me permit de me rendormir malgré tout.
Le lendemain, alertée par une fâcheuse migraine, je décidai de consulter. Mon médecin préconisa une radio. Le service de l’hôpital me reçut sans rendez-vous. Le manipulateur m’installa en salle, clicha face, trois-quart, profil, puis me fit attendre.
Derrière le pupitre, la secrétaire ne cessait son incessante activité. Appels téléphoniques, accueil du public, travail au clavier, etc.
Un homme s’approche d’elle, se penche à son oreille, lui chuchote quelque chose. Elle lève les yeux, prononce mon nom . Je me lève, m’approche.
– Le radiologue va vous recevoir.
Elle m’indique un bureau.
Guère rassurée, j’entre. Le radiologue m’invite à m’asseoir.
– Vous avez une fracture frontalière, madame. C’est extrêmement rare mais le plus étonnant, c’est qu’elle s’est constituée sur une ancienne fracture, regardez ! C’est une sacrée belle fracture !
Il me montre les clichés.
– Là, ce sont les cals. Vous avez du vous fracturer lorsque vous étiez enfant.
– Et là, regardez, celle d’hier suit très exactement la ligne de faille historique.
– Et que faut-il faire ?
– Et bien, soit vous profitez de cette ouverture pour aérer vos méninges, soit le professeur Joyandrie vous opère. Auquel cas, il procédera à l’ablation du cal.
– Et que me conseillez-vous ?
– La première solution, madame ! C’est toujours celle qui a le plus de succès car elle donne des résultats plus que surprenants.
– Très bien, alors ce sera la première solution. Restons-en là ! Merci monsieur.
– Au revoir madame.
Et je rentrai chez moi, clichés sous le bras, méninges à l’air.
Quelle ne fut pas ma surprise, le lendemain matin au réveil, de trouver sur mon oreiller pêle-mêle mon cerveau, mes yeux, nerfs emmêlés. Ma boite crânienne s’était ouverte durant mon sommeil, et tout le bazar qui l’occupait habituellement se trouvait dispersé là, sur mon oreiller. Il me fallut bien une bonne heure pour tout remettre en place. Démêler du nerf sans les léser s’avéra être une opération délicate, mais je n’avais pas l’intention de faire de quelconques dégâts. Une fois tout remis en place, je téléphonai à mon médecin généraliste et lui contai l’anecdote. Il me conseilla de voir avec le professeur Joyandrie l’opportunité ou pas d’une intervention, puisque l’ouverture de la boite crânienne risquait encore de se reproduire.
Ce que je fis.
C’était un homme au calme olympien, lunettes campées au bout du nez, ce qui l’obligeait à relever le nez pour regarder à travers ses verres.
– Je vois, dit-il.
– Vous pensez pouvoir arranger ça, professeur ?
– Il va falloir tout ressortir, vous avez bien travaillé, chère madame, mais l’œil droit est dans l’orbite gauche et le gauche est dans l’orbite droit. Vous n’êtes pas gênée à la vision ?
Je réalisais soudain que les bords du champ visuel semblaient flous.
– Si, en effet.
– Nous allons placer des clips de fermeture, afin de vous éviter tout nouveau désagrément à l’avenir.
– Et ça va se voir ?
– Non, c’est tout à fait invisible. Vous avez le cheveux dru, n’ayez aucune inquiétude.
C’est ainsi que je me retrouvai équipée de clips, à la façon d’une valise ancienne.
Ce dispositif me permit d’ouvrir et de fermer à ma guise ma boite crânienne afin d’aérer les méninges lorsque j’en ressentais la nécessité.
J’évite tout de même de ne pas allumer la lumière les nuits de lune noire lorsqu’éveillée par ma vessie pleine je dois me lever pour aller la vider. Afin de ne pas fracturer davantage les os de mon crâne. Et lorsque par mégarde les clips restent ouverts la nuit et que le contenu de ma boite crânienne se retrouve pêle-mêle sur l’oreiller le lendemain matin, le professeur Joyandrie me replace tout ça en bon ordre, tout en me conseillant d’être un peu moins distraite.
Moi j’aime bien aller le voir de temps en temps, son regard doux, peut-être, alors je fais semblant d’oublier ses recommandations en laissant les clips ouverts. A chaque fois, la disposition des organes n’étant pas tout à fait la même, mes perceptions s’en trouvent modifiées. Et c’est ainsi, de découvertes en découvertes, que le contenu de ma boite crânienne s’ajuste à plus de précision dans l’écoute, la vue, la compréhension, le goût ou l’odorat.
Ma vie s’en trouve enrichie.
Je ne saurais trop conseiller la fracture frontalière sur cal ancien à tous ceux qui en souhaiteraient les bienfaits. Souvenez-vous, les nuits de lune noire, éveillés par une vessie pleine, de ne pas actionner l’interrupteur de votre lampe de chevet. Prenez la porte dans l’angle obtus. Laissez agir. Et consultez.
Une sacrée belle fracture
27 septembre 2015 par jobougon
Le crâne: le coffre aux trésors ou la boite de Pandore? Mais c’est surtout un début de bluette avec Joyandrie, l’homme de la joie.
Est-ce un risque à courir que d’en faire une étincelle ardente ?
Auquel cas ce sera l’incendie.
Joyandrie saura conseiller la méninge gauche.
Je suis envieux (du cervelet aéré et de l’écriture qui respire ) ; dans le même genre, il faudrait tenter une opération à coeur ouvert arrêtée à mi parcours
🙂
Je réfléchis à l’opportunité d’une ventriculite avant de tenter l’opération. je vais brancher mes oreillettes sur le coup et je reviens vers toi, mais mi-parcours qui va faire l’autre demi ?
Je m’en souviendrai d’oser frontalement aborder les murs de face, en pleine nuit, la vessie pleine, afin d’explorer les limites. Comment ne pas penser alors à ce qui peut arriver lorsqu’on se prend les pied dans le tapis ou qu’on se perd dans ses draps de lits. Je comprends mieux ceux qui passent sous l’échelle pour recevoir un pot de peinture en pleine tronche, ceux qui laissent passer devant eux les chats noirs au galop, et surtout ceux qui se coupent avec des miroirs brisés. L’au-delà du réel à portée de tête, la quatrième dimension. Une merveille. J’adore !
Frontalement les murs d’en face se prendront tôt ou tard les pieds dans le tapis, et se ramasser au milieu des draps, ça va faire une de ces zizanies ! J’ignorais qu’il y avait des adeptes sous-échelles, peintures en pleine tronche ! Ces descriptions apocalyptiques me hérissent de frousse. Je suis un peu couarde je l’admets.
Merci d’apprécier la dimension de mes malheurs. 😀
J’adore quand tu te balades les méninges à l’air 🙂
Du grand art 🙂
J’aime bien l’idée de Carnetsparesseux
Je te vois te balader ton coeur sur la main 🙂
Le cœur au bout de l’aorte, c’est la fibrillation éclairante assurée. Je ne manquerai pas de tester la chose.
Peux-tu demander au professeur Joyandrie si on peut s’aérer les méninques par les fractures du métatarses du petit orteil, chose qui m’arrive assez fréquemment lorsque je me lève la nuit sans allumer la lumière !
Il me confirme que oui. Mais qu’à ce moment là, cela ne concerne que la méninge pédestre, et qu’une randonnée de 14 km peut tout aussi bien produire un effet similaire.
Aller, je file faire une rando. Bonne journée Mo.
Tu es une maniaque du rangement après dérangement?
En tout cas, j’ai adoré!
Bises,
Mo
Euh ! En vrai ? Pas franchement ! Des fois je traîne pour mettre de l’ordre, et les jours comme aujourd’hui ma table est jonchée de papiers et livres qui n’attendent plus qu’une grande poussée de déprocrastination de ma part. 🙂
[…] F ichtre, il faut faire quelque chose de mes mains aujourd’hui ! A ller au travail avec les pieds, mains dans les poches I gnorer les mauvaises langues, prêter main forte à ma collègue T riturer ses méninges le coeur sur la main […]
Joli choix de chanson !
Et puis cet acrostiche me donne un peu l’eau à la bouche tout de même.