Je m’en vais vous conter une petite histoire. (sulfureux, non ?)
Il était une fois, une fée prénommée Gélusine, bien malheureuse de voir le monde à travers des verres tantôt bueux tantôt opaques. Elle en arriva à un point tel qu’un jour, n’ayant pratiquement plus de couleur dans son champ de vision, elle se décida à consulter le meilleur ophtalmologiste du conté grenadin, que nous nommerons Gustave. Non pas que celui-ci fut un gredin*, oh non, loin sans faux ! (Ceci n’est pas une dénégation !) Mais bien que la grenade est le fruit que Perséphone a impunément goûté, ce qui lui valut la haute distinction de devenir l’épouse du maître des enfers, Pluton en personne, pour ne pas le citer.
Je ferme la parenthèse.
Elle entre donc dans le bureau pour se faire tirer les verres des yeux quand, choc, elle perd brutalement la vue. Le médecin, pas affolé pour un kopek, constatant in situ que sa cliente n’y voyait en effet plus rien, l’opéra promptement et de toute urgence. Pour ce faire, il enfila des gants stériles taille huit et demi, prit une fine et longue aiguille qu’il enfonça habilement dans les iris de la fée, afin qu’elles laissent dorénavant passer la lumière. Du choc, la fée se retint à son bras gauche mais, faisant un malaise ébloui, chuta misérablement au sol majeur.
Gustave tenta vainement de la retenir, mais elle en était devenue si coulante d’effroi que la fée lui glissa des mains comme une savonnette et alla rebondir sous son bureau, découvrant un paysage au final bien plus attrayant que tout ce qu’elle avait pu ne pas voir en couleur jusqu’ici.
C’est que le fameux docteur avait un secret. Il collectionnait les tableaux, et afin de ne pas les quitter des yeux, il les rangeait délicatement sous son bureau pour les garder à vue durant le temps des consultations.
La fée pouvait y voir tant de beauté, qu’elle les discerna malgré la fraîche opération, le manque de cicatrisation mais surtout grâce à la lumière qui, d’obscure il y a peu, en était devenue aveuglante..
Sur l’un d’entre eux se trouvait une grenade.
Elle dégoupilla malencontreusement celle-ci en tentant de l’effleurer d’un doigt léger.
Le fruit, tant gonflé d’une longue, très longue maturition, éclata, aspergeant copieusement le joli petit nez de notre Gélusine, qui eut le malheur de lécher les perles de jus tombant sur ses lèvres.
Elle en mourut sur le champ.
Les elfes du second tableau eurent grand pitié de la fée, et lui injectèrent le contre-sort anti-calcaire, ce qui eut pour effet immédiat de la réanimer vivement.
Elle retrouva ainsi très vite toute son acuité, d’autant que Gustave travaillait en association avec lynx optique, celui qui a les favoris sur le côté !
Amusé comme un toupet courbé, Gustave ne savait plus où donner de la tête.
Cachez-moi ce tableau que je ne saurais voir, criait-il, secrètement ravi de n’être entendu de personne d’autre que de la fée elle-même. Mais sa voix fit par mégarde nombre de ronds dans l’eau, ce qui eu pour effet de noyer le poisson. Je précise que la fée n’est ni une sirène ni une limande, mais big fish en personne.
Cela fit de beaux dégâts. Les voisins, attirés par les ricochets, accoururent pour voir le spectacle.
Les journaux en firent la une le lendemain.
Eddy Merxeinstein était un physicien de renom. Il s’intéressa à la chose et se rendit compte que toute la réussite de l’opération venait du tableau numéro trois non cité. Il reprit les travaux du médecin ophtalmologue et se rendit compte qu’elle (la chose) était non reproductible, hormis pour les originaux, mais d’une technicité très diffusable, ce qui encouragea les autres praticiens à suivre le mouvement.
Depuis ce jour, Gélusine fait éclater régulièrement des grenades sur le tableau. Elle ne craint plus la mort, puisqu’elle est définitivement vaccinée. Gustave garda le toupet droit sur la tête ainsi que le Courbet.
Sa clientèle afflue maintenant du monde entier pour les opérations les plus complexes.
Sa renommée avait pris naissance sur un curieux mélange de couleurs primordiales aux tableaux secrets dont il ne divulguera jamais la recette.
L’histoire en étonnera plus d’un. D’aucuns penseront que c’est une fable, pourtant c’est bien la vérité. Bien que l’on sache tous très bien qu’au fond, on sait qu’on ne sait jamais.
*https://fr.wikipedia.org/wiki/Gredin
Ouf Gelusine s’en sort 🙂
Faut pas me faire des frayeurs comme ça de bon matin 🙂
Oui, je sais, la lumière, ça brûle les yeux !
Veuillez m’en excuser madame la jument verte.
😀
Sacrée Gélusine !
j’aime bien la morale (si c’est une morale) : « Bien que l’on sache tous très bien qu’au fond, on sait qu’on ne sait jamais ».
Ah ce Gabin ! Un mec bien !
Je ne sais pas si on peut appeler ça une morale moi non plus.
Eh bien, on tire une ficelle et la pelote continue à se dévider et c’est très bien car les mots sont une fontaine de jouvence : ils résonnent, font des petits, grandissent, s’épanouissent et ne meurent jamais, merveille ! Ca, au moins, c’est une certitude, non ?
Ce sont des mots fleuve, où se jettent les rivières coulant de source.
Mais de certitude, point.
Les ficelles des mots sont impénétrables.
Voici un conte de fée bien plus réjouïssant que ceux de mon enfance. Gélusine a un je ne sais quoi d’émoustillant et le polymorphe foisonnant qui me met en joie. Bonne journée. Hervé.
Mettre en joie est une bonne chose, bonne journée à toi aussi, Hervé, merci de relever le côté émoustillant de la chose. 😉
Il faut des références pour te lire. Quand on tombe d’emblée sur « toupet courbé, Gustave « , ça maintient en éveil. J’aime aussi « Eddy Merxeinstein », illustre physicien cavaleur, euh, non… pédaleur.
Mais on apprend des choses aussi. Je ne savais pas pour Perséphone et la grenade. Honte à moi et félicitations à toi!
Ah ! La mythologie ! Une passion.
C’est une prof du collège qui m’a transmis le virus.
Depuis, je n’ai eu de cesse d’aller découvrir et redécouvrir les mythes.