Première partie : https://jobougon.wordpress.com/2015/05/29/sainte-deconfiture-se-vote-avec-sainte-quiche-dominatrice/
Deuxième partie : https://jobougon.wordpress.com/2015/06/10/le-banquet-quil-a-du-bon-et-quil-est-bon-1/
Le grand sage avait la réputation d’être un peu étrange, avec parfois des réactions surprenantes et imprévisibles. Il fallait s’attendre à tout, ou à rien, sait-on jamais…
Arrivés devant la grille du jardin, le plus courageux des trois chefs s’écria :
– Platon, sort de cet antre, nous avons besoin de ton conseil.
La porte s’ouvrit en grinçant lugubrement, laissant apparaître tout d’abord une longue barbe, puis ensuite le vieil homme. Il sortit péniblement, prenant appui sur une canne, s’avança, s’empiergea* (en gros, s’emmêla les pieds) dans sa barbe qui était si longue qu’elle touchait le sol, et s’étala de tout son long, dans un plat rampant*, le nez dans une motte de pantoiserie rabelaisienne.
Les chefs de clan applaudirent comme un seul homme.
– Quelle fantaisie ! s’écria l’un d’entre eux.
– Mais on dirait Diogène ! s’exclama un autre.
– Meuh non, y vit pas en tonneau ! Rétorqua le troisième en hurlant de rire.
Et tous les trois suffoquaient, larmes aux yeux, ne pouvant lutter contre l’hilarité irrépressible qui les saisissait soudain.
Voilà encore le genre d’effet absolument imprévisible que ce vieux sage pouvait produire.
Une fois relevé, le vieil homme épousseta sa longue barbe et prit la parole.
– Et bien, que vous arrive-t-il mes bons, que vous ayez besoin de mon aide ?
Alors les chefs de clan lui expliquèrent toute l’ampleur de la situation, le temps, le découpeur de temps, le coucou, le grand déréglage qu’ils n’arrivaient plus à enrayer, les rendez-vous devenus impossible à honorer, et qu’on était loin d’avoir encore tout vu, tout ça tout ça… Bref, tout le monde parlait en même temps tant ils étaient excités.
Platon compris très vite les enjeux en jeu. Tout en s’arrachant un poil du nez, qui le chatouillait et le faisait éternuer, et où était resté collé un brin de motte, il réfléchissait et, après avoir longuement tourné et retourné, renversé et analysé le problème, il se prononça.
– Faites un banquet. Puis revenez me voir. D’ici là, les tonneaux auront coulé sous les tables.
Et il rentra chez lui.
Les chefs, troublés par cette sibylline réponse, s’en trouvaient fort déconcertés.
Mais ils avaient confiance en lui. Alors ils repartirent en direction de leurs territoires afin d’aller rassembler les meilleurs cuisiniers pour préparer ce banquet.
Personne ne pu jamais mesurer le temps qu’il fallut pour y arriver. Régulièrement, les télescopages temporels venaient mélanger les époques. Pour peu que l’un d’entre eux se fasse happer, il disparaissait, puis réapparaissait, ramenant d’autres plats inconnus ou recettes diverses par la même occasion. Le menu prenait une allure de jamais vu vu qu’on n’avait jamais vu ça.
Le jour « J » flottant arriva enfin.
La table de fête était dressée au centre de l’espace commun aux trois peuples.
Voici ce que les cuisiniers proposèrent au menu de ce banquet.
– Ouvre-gueules et pétillant de mammouth
– Friands à la brandade d’oiseau rare
– Râbles de lumière et sa compotée de reflets pochés
– Surnageant d’île de Pâques et ses crevettes minérales accompagnées de totems flottants
– Fricassée de fils d’Ariane au jus de toile d’Enéïde
– Plateau d’incrustes à l’aïe et ses piques au vinaigre
– Carpaccio de sèche aux taches d’encre
– Croustade de rhinocéros à la graine de lampion arrosé de son coulis de renard bleu du désert
– Chapon rouge déconfit farci à la pierre de taille et sa sauce sept cailloux d’un coup*
– Salade de nœuds papillon et sa sauce de semis tendres
– Coucou de la Castafiore servi serti dans un grand coffre de déraison
– Aileron de serpent grillé au roux de plancton
– Salade d’éthique et sa garniture de fautes de frappe
– Hure de triton à la mode retard (ou libération prolongée, c’est comme on veut)
– Braises des bois en mayonnaise salmonellée* flambées au cognac geai
– Et enfin, flancs de poux au caramel Marie-Rose en dessert.
– Le tout arrosé d’un vin cru du pouilleux Saint Georges
– Sans oublier le café au grain et son pousse-breuvage
La table pouvait recevoir jusqu’à à peu près deux mille convives, soit la totalité des habitants des trois territoires. Les trois chefs, qui, on s’en souvient, ne pouvaient se séparer faute de ne pouvoir se fixer une date de rassemblement étaient présents, ainsi que les dix sept cuisiniers, ce qui faisait donc vingt à table.
Ils attendirent.
– Bon, si personne n’arrive, on pourrait peut-être commencer l’apéritif sans eux.
– Est-ce que quelqu’un a pensé aux invitations ?
– Peuchère, non !
– Mouais, c’est pas faux. Platon a parlé de banquet, pas d’invitations.
– Bah, on n’aura p’tête pas tout perdu d’essayer son idée en tout cas.
– Aller, tchin les gars ! On va pas s’arrêter à ça !
Et ils trinquèrent en chœur.
Pendant ce temps, la brise dispersait les effluves de fumets alentour.
L’odeur commençait à en intriguer plus d’un.
Pas ceux qui étaient à table. Oh non, ceux là avaient les narines saturées et ne sentaient plus rien. Non. Les autres, ceux qui n’avaient pas été invités, et qui reniflaient, subodoraient qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire.
Ils se placèrent dans le sens du vent et progressèrent vers le lieu de toutes les émanations.
C’est comme ça que, les uns après les autres, les membres des clans se retrouvèrent tous attablés, à déguster les divins plats, discuter, qui d’une chute de jour, d’un néandertal croisé au supermarché, d’un train de retard, comprenant enfin ce qui les avait jetés dans cette folie de dérèglements en tout genre.
Comme quoi, les sens sont une ressource non négligeable qu’il convient d’utiliser à bon escient.
De la surprise, le sablier en fut tout retourné. Il en reprit, sous le choc émotionnel, son réglage initial, rectifiant son décalage.
Le découpeur de temps, la bouche pleine de suaves saveurs, cessa toute activité illicite illico. On lui ôta sa batterie, le mettant définitivement hors d’état de nuire.
Et la vie reprit son cours, en toute quiétude, voire même encore plus belle qu’avant.
Car il fut décidé de refaire un banquet au moins une fois par mois.
Platon fut remercié. On lui offrit une coupe de barbe pour lui éviter à nouveau de tomber et une autre de champagne pour arroser tout ça.
Et on se fichait bien dorénavant de savoir comment on allait sonner les heures. Après tout, il suffisait d’aller la lire à la source, c’est-à-dire au cadran soli-lunaire, directement. Et puis cette nouvelle aventure leur avait mis la puce à l’oreille. On ne joue pas avec le feu impunément sans s’y brûler un peu.
Fin
Finalement la fin a entraîné une suite. Pour la lire c’est ici :
https://jobougon.wordpress.com/2015/06/16/rebondissement-dans-laffaire-du-banquet-1/
* Expression issue du patois ardennais
* Référence à un commentaire pantois (lire Hervé « manh14 »en deuxième partie)
https://jobougon.wordpress.com/2015/06/10/le-banquet-quil-a-du-bon-et-quil-est-bon-1/
* Tout le monde a compris que Frigor est dans le coup, et là, je redirige vers le feuilleton brûlant de Valentyne
https://lajumentverte.wordpress.com/2015/06/10/daujourdhui-joublierais-certainement-demain-que-10-juin/
* Sept cailloux, sept nains, un môme perdu, une poule et un huitième caillou chez carnetsparesseux
https://carnetsparesseux.wordpress.com/2015/06/11/loup-poule-ou-pomme-les-sept-cailloux-7/
* Sans oublier le caillou six dont le rôle très prisé a été joué par Brad Pitt chez 1pattedanslencrier
https://1pattedanslencrier.wordpress.com/2015/05/25/inside-the-story-of-the-7-petits-cailloux-blockbuster-hollywoodien/
😀 alors là, franchement tu as fait fort ! Je te reblog, je te reblog, je te reblog, le temps de le faire et hop !
Cheese ! 🙂 🙂 🙂
Mince, ils ont oublié les fromages les c..s !
C’était un exercice ce texte, ou tu l’as écrit « comme ça » ?
Il est venu tout seul. En piochant des pistes à droite à gauche, par exemple en ce qui concerne les plats cuisinées, sinon, il m’a été servi comme ça par mon cerveau au fur et à mesure. Reformulé par endroit.
Le « Râble de lumière et sa compotée de reflets pochés » n’était pas le moins fin mets de cette histoire délicieuse où, tour à tour, d’autres aventures ont su s’entrechoquer avec gourmandise !!! Bravo !! Bis !!
Dis donc, ça vient drôlement flatter mes papilles narratives, tout ça ! Merci merciiii !
Joli !!!! quel beau banquet !
mais y a pas moyen de récupérer le découpeur de temps pour s’en servir à éplucher les légumes ?
et…c’est vraiment fini ? n’est-ce pas plutôt là que tout commence ?
🙂
Arrgh ! Je te reconnais bien là à aimer prendre des risques. Faut vraiment plancher le sujet, tu as raison. Pour la soupe, c’est pratique, quand même.
en fait, je déteste prendre des risques ; mais je veux bien que d’autres le fassent 🙂
non mais sérieusement, il y a quand même là l’ébauche de l’embryon du début d’une possibilté d’histoire un peu chouette, non ?
rien qu’en éditant le livre des recettes ?
ou en ramassant les miettes de copeaux de temps qui trainent surement sur la table ?
Un coup de la paresse, mais je vais négocier avec elle, pas d’impatience, elle est têtue comme une mule parfois. 😉
Si tu as des idées de rebondissements, et que tu as envie de continuer l’histoire à ta sauce, ça me fera plaisir aussi. D’ailleurs cette proposition vaut pour qui en a envie. Mais du coup, du cou, du bon, je laisse ton idée faire son chemin dans mon crâne fêlé, on verra ce qui en sort quand il parlera fort.
🙂
ah, en reprenant le 1er billet j’ai compris la raison du texte, mais je n’ai pas très bien compris le fameux concours… j’ai les neurones ramollis avec cette chaleur, je file les déposer dans le congélateur !
Ah oui, le calendrier patatruc, c’est vrai ! Oui, c’est ça, un concours, mais en fait je ne suis pas bien sûre d’être dans les clous.
Je me suis laissée emporter par ces braves gens de l’age de bronze.
j’ai pris part au banquet et les mets étaient excellents. Ton cerveau était en forme ou bien c’était ta main docile soumise à des influx facétieux??
Bon appétit, bien sûr !
Il est possible que j’ai abusé du pouilleux saint Georges, ou que le grain de café était légèrement sur dosé. Je ne trouve pas d’autre explication…
» Croustade de rhinocéros à la graine de lampion arrosé de son coulis de renard bleu du désert » il m’en faut de suite
« Chapon rouge déconfit farci à la pierre de taille et sa sauce sept cailloux d’un coup* » : trop bien 🙂
« Braises des bois en mayonnaise salmonellée* flambées au cognac geai »
Lol 🙂 🙂
J’avoue, je me suis bien amusée à cuisiner la loufoquerie « qu’elle a du bon, qu’elle a du bon ». Un peu de folisophie me ravit toujours l’âme. Une vraie sinécure. 🙂 🙂
Pour la dégustation, première vallée à droite après la chaîne montagneuse.
A très bientôt donc.
Merci Valentyne
[…] avec la suite et fin de Sainte déconfiture et la fin du […]
Oui mais qu’est devenu le coucou des épisodes précédents? C’était celui de la Castafiore qui a été cuisiné? Pauvre ‘tite bébête…
La déraison a du avoir raison de lui… 🙂
Ah beh nan, la Castafiore m’apprend qu’il vient d’être desserti et qu’il chante Dupond-Dupont, on va p’têtre réussir à faire quelque chose avec lui. 🙂
[…] suite N°1 de la fin qui fait suite aux trois premières parties dites dans l’ordre : 1, 2, 3, 4, vous comprendrez j’en suis certaine très vite pourquoi. Quoique… Finalement, en y […]
[…] Sainte déconfiture se vote avec sainte quiche dominatrice Le banquet qu’il a du bon et qu’il est bon (2) – (Suite et fin) […]
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