Andromède
le livre
Un livre de Jean-Louis Curtis, élu membre de l’académie française en 1986 et mort en 1995 à l’age de 78 ans.
Dans tous ses romans, Jean-Louis Curtis se carre dans un style naturel, direct, sans fioritures et sans clichés. Mais ses personnages ne sont, le plus souvent, pas aussi limpides qu’il n’y paraît de prime abord. Les histoires qu’il raconte sont bien souvent d’une grande cruauté et son monde d’une grande noirceur.
C’est dans son dernier roman qu’éclate le plus nettement le côté sombre de ce monde et le destin sans espoir de ses habitants. Ce roman, publié après sa mort, a pour titre Andromède, la princesse livrée au monstre marin pour apaiser la colère de Poséidon et délivrée in extremis par Persée. Il aurait tout aussi bien pu s’intituler La Prisonnière, si ce titre n’évoquait déjà d’autres amours. C’est l’histoire d’une vie gâchée sans appel. Une vie où un à un, méthodiquement, tous les motifs d’espoir sont saccagés. La vie d’une femme de vingt ans, Anne, jolie, intelligente, douée qui peut rêver d’un avenir satisfaisant, sinon brillant. Elle arrive dans une petite ville et prend possession d’un nouveau logement. Dans les toutes premières pages du livre, le premier soir, elle aperçoit sur le rebord de la fenêtre, une toile d’araignée vibrant au rythme des ailes d’une mouche capturée. « C’était une minuscule scène de supplice, dit Curtis, de lente mise à mort. Combien de temps durerait l’agonie de l’insecte ? Elle allait servir de nourriture, de garde-manger à une créature qui, pour elle, se présentait sous l’aspect d’une bête gigantesque et hideuse. Anne, captivée et légèrement horrifiée pensa qu’elle contemplait là quelque chose de consubstantiel à la vie, l’accomplissement d’une loi cruelle et immémoriale qui régit toutes les espèces vivantes : l’entre-dévorement universel. » Au lieu de briller dans le monde, de se marier, au lieu de vivre, Anne va peu à peu se laisser emprisonner, absorber, dévorer, anéantir par un homme que le hasard a installé dans la même pension qu’elle. Un homme âgé, laid, sans caractère ni instruction. La manière dont Curtis décrit ce naufrage, cet anéantissement d’une vie est édifiante. Tout au long de trois cents pages, il raconte la lutte entre la femme-proie et l’homme-araignée, comme un rapport de force et de domination qui, dès leur rencontre, s’installe entre eux. Au début « elle avait l’ascendant sur lui », elle avait « barre sur lui », elle « le dominait ». Peu à peu les rapports de domination se modifient. L’humiliation passe de l’un à l’autre. Les forces se renversent. La culpabilité change de camp. En fin de compte, c’est l’homme qui finit par écraser la femme.
Tout le roman s’articule sur les questions : Qui dominera l’autre ? Qui se nourrira de l’autre ? Qui tuera ? La conclusion est féroce. La vie à deux étant la seule chance de vaincre la terreur de vivre, de surmonter la hantise du temps qui s’écoule et de la mort, une vie, sa réussite ou son échec, relèvent de la capacité d’accouplement d’un être avec un autre. La manière dont cette femme jeune et belle qui, par sa faute et par une série de circonstances bizarres et oppressantes, ruine sa vie, crée chez le lecteur un malaise sans cesse croissant. L’art de Curtis est ici à son meilleur pour raconter une histoire aussi simple et aussi étouffante. La fin du livre apporte la conclusion, à la fois psychologique et morale, que veut donner l’auteur par cette histoire. « J’ai vu, dit-il, des quantités de couples dont on se demandait pourquoi ils demeuraient ensemble, malgré une évidente incompatibilité. J’ai vu, de très près, des situations qui n’auraient pas dû normalement durer dix jours et elles duraient depuis dix ans ou davantage. J’ai vu des laideronnes ou des idiotes s’emparer d’un homme plein de mérite et le dominer férocement, le domestiquer. Et, inversement, j’ai vu des hommes très ordinaires, parfois médiocres, s’attacher de belles et brillantes jeunes femmes et parfois les séquestrer… Souvent, dans un couple, c’est le moins bon qui l’emporte sur le meilleur, le plus déshérité sur le plus doué, le plus pauvre sur le plus riche moralement, le plus faible sur le plus fort. »
Rien à ajouter, sinon le regard calme et chargé de vérité que pose l’auteur sur ses personnages ; l’art et la finesse avec lesquels il montre l’un des personnages s’approprier l’autre ; et surtout la maîtrise avec laquelle il fait couler le temps qui, comme dans tout roman, joue le premier rôle. Le récit s’étale sur trente ans. L’intensité dramatique n’empêche pas Curtis de s’adonner tout au long à l’un de ses passe-temps favoris. Tout en décrivant, dans le fond de l’histoire, les climats sociaux et les ambiances morales des décennies qui se succèdent, il se livre à quelques brèves, mais violentes offensives contre certaines de ses cibles préférées, la mode, le snobisme, la bêtise, l’hypocrisie du siècle.
Nan mais sérieux, t’aurais pas pu trouver une autre image ???????? XD C’est moche une araignée quand-même…
Faut dire que l’histoire de cette pauvre jeune fille qui se fait aspirer lentement mais sûrement vers le néant par ce monstre libidineux qu’est son voisin de palier me donne autant de frissons de terreur que la vue de ce si charmant animal !!!